Le service public, au service de qui ? Le visionnage de l’ « Émission Politique » au cours de cette campagne électorale autorise en effet à s’interroger. Cette émission de France 2 est la nouvelle formule de « Des Paroles et des Actes (DPDA) », et le changement révolutionnaire qu’elle apporte méritait bien un nouveau nom. En effet, l’ordre des entretiens et des débats a changé. Par ailleurs, l’impertinent David Pujadas qui ne présente le journal télévisé de la chaîne que depuis quinze ans, et DPDA depuis seulement 6 ans, est désormais secondé par Léa Salamé, qui n’a pas démérité son prix de Meilleure intervieweuse décerné par un jury incluant les références Nicolas Demorand et Jean-Michel Aphatie. Ceux-ci sont assistés de deux atouts maîtres de France 2, deux experts de poids. Le premier, François Lenglet, est l’économiste de référence de la chaîne, et l’injuste victime chronique de virulents gauchistes comme l’ambassadeur de Bolivie pour avoir certes – mais est-ce vraiment important ? – erronément accusé Evo Morales de corruption, et aussi – mais n’est-ce pas un détail ? – pour avoir légèrement sous-estimé la part des revenus dédiée au capital de 100 milliards d’euros. Le second est Karim Rissouli, dont les talents de fouilleur de tweets et rapporteur de sondages ont été remarqués à DPDA.
Dans son émission du 9 avril 2017, l’ « Émission Politique » accueillait donc Mme Le Pen. Pour la déstabiliser, les journalistes n’ont pas hésité à imposer les thèmes qui la mettent mal à l’aise : laïcité, immigration, soin des étrangers, furent donc le fil conducteur de ce moment intransigeant et sans complaisance, au grand regret de l’invitée, si réticente à évoquer ces sujets. Et pour sortir définitivement la candidate de l’extrême droite de sa zone de confort, ceux-ci n’ont pas hésité à la faire débattre avec un « invité mystère » sans concession, puisque c’est Patrick Buisson, d’extrême-droite également, qui lui a porté la contradiction.
Ainsi l’émission du 23 avril, dont l’invité était cette fois Jean-Luc Mélenchon, s’avérait prometteuse. La soirée d’ailleurs commençait bien puisque l’invité du journal de 20 heures la précédant était Yannick Jadot, qui annonça fièrement son désistement au profit de Benoît Hamon, avant même le vote des adhérents de son mouvement pour accepter ou rejeter l’accord conclu. Jean-Luc Mélenchon s’est donc vu accorder aimablement la possibilité de justifier le maintien de sa candidature pendant dix minutes. Tous les sujets qui préoccupent véritablement les Français sont alors évoqués, en particulier Fidel Castro et Vladimir Poutine. « Est-ce que les droits de l’Homme ça compte pour vous ? », lance un David Pujadas sincèrement préoccupé, davantage sans doute que par les droits des salariés et en particulier celui de faire grève. « L’invité mystère », Philippe Torreton, désireux d’une candidature commune, permet à Mélenchon de réexpliquer son refus de se rallier à Hamon, au cas où on ne l’avait pas encore bien compris. Malheureusement l’acteur n’était pas disposé à se comporter comme convenu au début de l’émission, malgré les incitations discrètes et subtiles des présentateurs : « Et là qu’est-ce que vous demandez à Jean-Luc Mélenchon ? », « Vous avez peut-être quelque chose à lui dire à lui directement », « [M. Torreton] ne vous a pas encore interpellé » (coupant Mélenchon). Pujadas impatient finit par s’exprimer à la place de l’invité, décidément incapable de donner son propre avis : « Quand nous avons préparé cette émission, vous avez dit, je voudrais que Jean-Luc Mélenchon mesure bien la responsabilité qui est la sienne, et peut-être que c’est à lui de faire le premier pas [ndlr : se désister] pour une candidature unique », « Peut-être que vous avez changé d’avis ».
L’émission se poursuit alors avec un autre témoignage sincère et pas du tout instrumentalisé d’une Calaisienne désemparée. Elle manque d’oublier de mentionner qu’elle était prête à voter Front National ; heureusement, Karim Rissouli le lui fait dire.
Le meilleur moment de l’émission reste sans doute le comparatif audacieux entre le programme de Le Pen et celui de Mélenchon. Les deux candidats y sont mis dos à dos, et les points communs de leur programme sont listés. On trouve notamment l’augmentation du SMIC et le retraite à soixante ans. Qu’en dit le Front National ? Selon Marine Le Pen, « Augmenter le SMIC est une mauvaise mesure », et d’après l’ex secrétaire national du parti, « [ils n’ont] jamais défendu la retraite à 60 ans ». Dommage que les décodeurs distraits du Monde, les désintoxiqueurs de Libération, les laborieux détecteurs du « Lab » d‘Europe1 et autres décrypteurs du Petit Journal et de Quotidien aient manqué l’erreur d’inattention des journalistes du service public. Heureusement, des journalistes du Monde, quelques jours après la qualification d’Emmanuel Macron et de la candidate de l’extrême droite pour le second tour, ont fini par courageusement décoder un tract du FN, fortement inspiré par l’infographie de France 2 et diffusé par quelques militants anonymes sur Internet. Le tract est censé pointer les mesures partagées par le FN et la France Insoumise :
Les « inexactitudes » de l’Émission Politique, elles, diffusées devant près de 2,5 millions de téléspectateurs, ne seront pas corrigées. Mélenchon = Le Pen, sauf durant la période de l’entre deux tours !