Le journaliste Abel Mestre et son thermomètre

« Ce ne sont pas les médias qui vont inciter les gens à voter FN. Pas du tout. »

FN+àgaucheLe 16 avril 2015, Libération écrivait aussi que Le Pen est économiquement « gauchiste ». Le lendemain, Europe1 affirmait que Philippot est « socialiste ».  Le 1er septembre 2014, Le Nouvel Observateur écrivait que Le Pen est le « seul recours à gauche » et qu’elle a « des idées sociales ». Le 10 mai 2015, le Midi Libre écrivait que « le FN est devenu plus que tout autre le parti de quiconque se sent fragile ou menacé ». Le 11 décembre 2013, Les Échos écrivaient que « avec son programme économique, le Front national confirme qu’il n’est pas un parti d’extrême droite, mais un parti d’extrême gauche » (« Le Front national ou la fusion de tous les extrêmes »). Le 4 juin 2014, Le Monde (où travaille Abel Mestre) écrivait que « La rébellion ne se niche plus dans le vote rouge mais bleu marine ». Et voici quelle citation extraite de l’article était mise en évidence : « Le FN sait parler aux ouvriers, à ceux qui n’ont pas beaucoup de sous ». Le 2 décembre 2015, Le Point titrait : « « Marine Le Pen, c’est notre star » ». Le sous-titre n’est même pas une citation, il est de la journaliste : « Comment la candidate aux élections régionales en Picardie Nord-Pas-de-Calais est devenue l’icône des victimes de la crise, du chômage et de l’insécurité ».

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Un mimétisme fortuit…

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À gauche, une affiche de campagne du FN. À droite, une affiche de campagne du FN.

          En juin 2014, l’un des journalistes chargés de l’extrême droite au journal Le Monde tenait une conférence pour le journal StreetPress, titrée « De l’Oeuvre Française au FN : Plongée sous Marine avec Abel Mestre ». À la question « Comment tu prends ces critiques, selon lesquelles Le Monde alimenterait le succès du Front national ? », Abel Mestre défendit son journal, avant de défendre toute la corporation. Selon lui, « ce ne sont pas les médias qui vont inciter les gens à voter FN ». « Pas du tout », même. S’il a raison de dire que le FN « n’est pas une création médiatique », en revanche, nier l’existence du lepénisme médiatique est malhonnête.

Le journaliste attend de voir

« Moi, j’attends de voir l’étude qui montre que Le Monde a une influence tellement forte sur l’électorat français qu’un traitement d’un sujet les fassent voter. »

Bien sûr, valider une thèse lepéniste selon laquelle il y aurait un lien entre destruction des services publics et immigration n’incite pas du tout les lecteurs à voter pour le FN :

Quand Le Monde vend une page entière de publicité (138 000 euros) pour une manifestation d’extrême droite contre les homosexuels, ce n’est pas une incitation à voter pour Le Pen. Voici la page 11 de l’édition du 11 avril 2013, située entre la rubrique « politique » et la rubrique « société ». Il s’agit d’un véritable tract contre les homosexuels :

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Le journalisme réel

« Non, je ne vois pas comment traiter un sujet, une actualité, une réalité, peut amener quelqu’un à voter pour cette réalité. »

Il ne voit pas, le journaliste. Le Monde qui glamourise Le Pen telle une actrice de cinéma : un procédé neutre et objectif qui n’incite pas du tout à voter pour elle (voir les charmantes illustrations, notamment d’un article d’Abel Mestre… puis les comparer avec les illustrations d’articles sur Mélenchon) :

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Le thermomètre

« À un moment donné, soit on regarde les choses en face… Le FN a quand même fait 25% aux européennes, et un score plus que bon aux municipales. Donc ce n’est pas une création médiatique, c’est quelque chose de tangible. Et c’est quelque chose qu’on voyait. Il n’y avait pas que moi. Sur le terrain, on fait des reportages, on voit l’exaspération qui monte, on voit les gens qui ont une parole libérée, on voit les gens qui disent de plus en plus facilement, et je pense que chacun de vous, qu’il soit journaliste ou non, a entendu ce genre de propos, que ce soit dans les taxis, que ce soit dans les cafés, que ce soit en famille, que ce soit avec des amis, on entend que les gens disent de plus en plus « je vais voter Marine Le Pen parce que tout le monde me fait chier, et parce que y’en a marre… ». Voilà c’est juste ça, c’est juste rendre compte d’une réalité que d’en parler. Après, si certains préfèrent casser le thermomètre pour dire qu’ils n’ont pas de fièvre… Mais ce n’est pas notre rôle en tant que journalistes, de passer à côté. Par ailleurs, sur le vieux débat qui agite la profession pour savoir si en parler, c’est favoriser ou le contraire, juste, le FN fait 11% en 1984 aux européennes alors que personne n’en parle et que c’est un groupuscule. Personne n’en parle, ils font 11%, ils font jeu égal avec le PC. En 2010, tout le monde les donne pour morts, personne n’en parle, ils se maintiennent dans la moitié des régions et ils augmentent leur score entre les deux tours. Donc le poids médiatique, la présence médiatique, n’est pas du tout le facteur de ce qui fait voter FN. Pas du tout. Ce ne sont pas les médias qui vont inciter les gens à voter FN. »

« En parler » ? Valider des thèses de Le Pen au journal Le Monde en particulier ou dans la presse en général, la banaliser, l’assimiler régulièrement à la gauche, c’est donc « en parler ». Le grossier, l’indécent corporatisme du militant politique Abel Mestre – qui se trouve être journaliste – va de paire avec sa suffisance et son agressivité à l’égard des militants de gauche sur Twitter, quand ils osent critiquer ses méthodes. Suffisance et narcissisme, aussi, puisque le journaliste arbore son propre nom en énorme sur sa couverture Twitter.

MESTRENarcissisme journalistique aussi chez son confrère de Libération Lilian Alemagna, journaliste qui dégueule le plus sur Jean-Luc Mélenchon – ci-dessous, sa couverture de page Facebook :

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À propos de nombrilisme journalistique, voir l’excellente analyse d’Antoine Léaument, « Diabolisation de Mélenchon et nombrilisme journalistique : les errements du magazine du  Monde » et ce modèle de nombrilisme difficilement égalable, où « Moi » + « je » = « LE journaliste », dans Diabolisation verbale de Mélenchon dans les médias 4/4 (OPIAM).

Article modifié le 5 janvier 2016

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Une réponse à Le journaliste Abel Mestre et son thermomètre

  1. le mépris n’aura qu’un temps….

  2. marxisteanonyme dit :

    Abel Mestre est le parfait exemple du déni journalistique (et encore, en supputant qu’il soit journaliste) de ce pays, visant à faire la promotion infâme, éhontée du Fn tout en s’en détachant, sous couvert de liberté d’informer. D’un autre côté, cette liberté d’informer, que l’on doit imputer à des nécessités financières (l’électorat fn est une clientèle intéressante) contraste avec la curieuse instrumentalisation de Mélenchon, dont on extrait deux ou trois petits mots piquants. C’est là le deux poids deux mesures d’une presse de caniveau propre sur elle, feignant travailler librement (à qui appartient la presse? … aux grands groupes) et informer à tout le monde de la réalité politique. Une vaste supercherie que de très bons articles tels qu’en fait Le monde diplomatique démontrent parfaitement (temps de parole, mots consacrés à telle ou telle personne…).

  3. Dorzédéjà dit :

    Un des arguments les plus fréquents est que  » le FN n’est pas interdit ». Or tout ce qui n’est pas interdit est autorisé. Par exemple, le racisme n’est pas interdit, seule l’incitation à la haine raciale l’est. Le racisme est donc autorisé s’il est dissimulé. On peut donc inviter Florian Philippot à Arrêt sur images, site pourtant peu suspect de racisme s’il en est. Seule importe la forme, les convenances. Un bon journaliste doit renoncer à la prétention délirante de traiter du fond, qui concerne la liberté individuelle intime. Un bon journaliste doit être libéral, et laisser les idées s’affronter dans une concurrence darwinienne pure et non faussée. S’il advient que le racisme du FN est une idée mauvaise, ça finira bien par apparaître, grâce à la main invisible des médias.

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