Texte de « fabu_land » paru sur le site Internet « Babordages », à propos de l’usage du mot « dérapage » dans les médias :
Quand à la fin du XIXe siècle, Pierre Larousse publie son Grand dictionnaire universel, il mobilise une petite centaine de collaborateurs pour rédiger ces dix-sept tomes qui comportent en tout plus de vingt mille pages. Quelqu’un s’est peut-être déjà amusé à compter le nombre d’entrées, c’est sans aucun doute vertigineux. Toujours est-il que, dans le tome 6, à la lettre D, page 498, il n’est jamais question du terme de « dérapage ».
On rencontre bien le verbe déraper et sa signification maritime, mais c’est tout.
En 2005, dans la lignée du Dictionnaire historique de la langue française, sous la direction d’Alain Rey, les éditions Le Robert publient le Dictionnaire culturel en langue française. On y retrouve la signification nautique à laquelle s’ajoutent d’autres références. Les véhicules dérapent.
On apprend qu’un sens figuré apparaît dans les années 20. Je te laisse lire.
Remettons donc les choses au point. Le dérapage est le glissement d’un vélo, d’une voiture, d’un avion par rapport à une trajectoire initiale. Il peut être involontaire, il est parfois contrôlé. Notons de plus que dans l’usage qui en est fait, le dérapage sportif et/ou motorisé n’est que très rarement grave. Quand ils se blessent grièvement ou pire, quand il se tue, le coureur automobile aura fait une embardée, le cycliste une chute, le skieur aura percuté quelque obstacle. Je ne crois pas que l’on n’ait jamais parlé d’un dérapage lors d’un accident d’avion.
Concernant l’acception figurée du terme, l’écart psychologique ou langagier est imprévu et incontrôlé. Imprévu et incontrôlé.
Quand, devant ton enfant rempli de fraîcheur et d’innocence, tu testeras malencontreusement la résistance de ton orteil face à ce pied de chaise, tu lâcheras alors, à ton grand dam, un juron fleuri.
Rogntudjuuuuu
Tu auras commis un dérapage.
Tu saisis ?
Ainsi, quand Gilles Bourdouleix déclare à propos de Roms « Comme quoi, Hitler n’en a peut-être pas tué assez », ce n’est pas un dérapage.
Quand François Fillon déclare « qu’entre le PS et le FN il faut choisir le moins sectaire », ce n’est pas un dérapage.
Quand Daniel Boisserie estime que « lorsqu’on installe des Roms, il y a le crime, il y a la drogue, il y a la prostitution », ce n’est pas un dérapage.
Quand Philippe Le Ray imite le caquètement d’une poule, dans l’enceinte de l’Assemblé Nationale, lors de la prise de parole de Véronique Massonneau, ce n’est pas un dérapage.
Quand une gamine de dix ans, embarquée par ses parents dans une manifestation d’opposants au mariage pour tous, traite Christiane Taubira de guenon en brandissant une banane, ce n’est pas un dérapage.
Quand Marine Le Pen affirme ressentir un malaise en voyant des otages libérés dont la pilosité et la tenue « mériteraient des explications de leur part », ce n’est pas un dérapage.
Quand la police fait preuve de violence, ce n’est pas un dérapage.
Quand Natacha Polony se lance dans l’humour, ce n’est pas un dérapage.
Rien de tout ceci n’est imprévu et incontrôlé.
Si les mots ont encore un sens, il serait souhaitable qu’on appelle un chat un chat, un dérapage un dérapage, et une saloperie une saloperie. D’autant plus que je suis persuadé qu’il existe une foule de terminaisons juridiques pour qualifier les saloperies en question.
Ami journaliste, fais-moi plaisir, bannis ce mot de ton vocabulaire. J’ai beau être d’une non-violence à toute épreuve, il m’arrive d’avoir l’envie de faire déraper ma main dans ta gueule.
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Lien vers « Babordages » : http://babordages.fr/?p=2712
ça dérape , ça dérape.. Quand ça dérape pas, ça dérape quand même. Et si on parlait du dérapage contrôlé ? Quand les média parlent de dérapage, ou de mauvais goût, à propos des attaques nazies contre Christiane Taubira, qui dérape ?