Jean-Marie Le Pen « républicain » dans le journal Sud Ouest ?
Après que le journaliste Jean-Michel Helvig a dit en octobre que J.-L. Mélenchon a « atteint un niveau d’insulte et de mépris à l’égard de François Hollande et de Jean-Marc Ayrault que même le Front national ne s’autorise pas » ¹ ; après qu’il a affirmé en mai – prétextant un sondage – que le programme de Mélenchon « apparaît à l’opinion encore moins crédible que celui de Marine Le Pen » ² ; après que le journaliste Alain Duhamel a écrit dans Libération que, « à la cohérence implacable de Marine Le Pen », Mélenchon « oppose une incohérence romantique » ³, voici le journal Sud Ouest qui fait du père Le Pen un républicain.
Le 18 mai, le journal Sud Ouest a publié un article de l’historien Michel Winock, « La (sixième) république des magiciens« . Voici un exemple typique de banalisation subreptice de l’extrême droite par la presse :
« Jean-Luc Mélenchon l’avait annoncé : » Je veux faire la proposition qu’on manifeste, le jour anniversaire du deuxième tour de l’élection présidentielle, le 5 mai prochain, dans la rue, que l’on fasse une marche citoyenne pour la VIe République. «
La sixième ! Une vieille idée à lui, et largement partagée depuis le début des années 1990 par nombre de partis et de personnalités. Le nationaliste Jean-Marie Le Pen, le socialiste Arnaud Montebourg, l’écologiste Eva Joly et bien d’autres y ont donné leur voix. »
Pourquoi mettre Le Pen à côté de Mélenchon, Montebourg et Joly ? Et là encore, ce ne sont pas les noms de Montebourg ou Joly qui sont accolés immédiatement à celui de Mélenchon. Non, c’est celui de Le Pen. Par hasard, sans doute. Comme dans cet article de Daniel Fortin, paru le 24 mai encore dans Les Échos, « La diagonale du mou » :
« Une Assemblée nationale sans Mélenchon, sans Marine Le Pen, sans Ségolène Royal, sans Juppé, sans François Bayrou, sans Martine Aubry, sans Chevènement, sans ce Peltier qui est censé représenter la tendance du numéro un de l’UMP, c’est comme un restaurant périgourdin qui ne servirait ni confit, ni foie gras, ni cassoulet, ni omelette aux truffes, ni cèpes… »
Ou comme dans cet article paru le 23 mai dans Les Échos, « Mère Courage », à propos du programme de Ségolène Royal :
« […] son inévitable impopularité le rendrait imprésentable (voir l’UMP) ; précis, il serait attaqué ; violent, il serait peu crédible (Le Pen, Mélenchon) ; « socialiste », il serait éventé. »
Ou comme mille autres encore. Quand les noms de Mélenchon et de Le Pen sont mis dans un groupe de militants politiques par des journaleux, ils sont presque toujours accolés. Il ne s’agit pas de complot, puisqu’il n’y a là ni pensée ni arrière-pensée. Non, il y a seulement le néant de la pensée journalistique, qui est… autre chose que la pensée. Qui est… le journalisme. Il en va du journalisme comme de ce que dit Heidegger de la science : le journalisme ne pense pas. Le journalisme – en tant qu’il se veut science au même titre que l’histoire se veut aujourd’hui science – journalise. Et c’est bien là sa chance. Et il ne s’agit pas de mettre tous les journalistes dans le même sac. Car c’est aussi le journalisme en tant que tel qui est un problème philosophique, de même que la technique en tant que telle, la technique en général est un problème – ou plutôt une question, la question du destin de l’humanité – dans la mesure où il n’y a pas la « bonne » technique (l’écologie ?) et la « mauvaise » (la dévastation de la terre), puisqu’elle n’est pas un moyen (« neutre »), mais un rapport à l’Être. D’un point de vue philosophique, le journalisme doit être questionné non pas seulement dans ses applications possibles, mais dans son essence – et le journalisme dans son essence ne peut se penser lui-même. Il doit donc se délester de son ego 4 et se hisser au niveau supérieur : celui de la pensée, de la philosophie, seul savoir apte à penser tous les autres, d’où procèdent tous les autres.
Outre cela, le mensonge de Michel Winock est total, les principes élémentaires de la déontologie du journalisme et de la méthode historique sont bafoués. Jean-Marie Le Pen a toujours été antirépublicain et Michel Winock le sait. Le Pen, c’est celui qui appelle la République la « ripoublique » ou encore « la gueuse ». Ce mensonge est d’autant plus grave qu’il est écrit par un historien spécialiste de l’histoire contemporaine, de l’histoire de la République française ainsi que des mouvements intellectuels et politiques. Comme si le fait que Le Pen se dise républicain suffisait à faire de lui un républicain ! Michel Winock a perdu la tête. Au lieu d’éclaircir les choses, de les rendre plus intelligibles, il les brouille et les obscurcit. Pourquoi faire ça ? Quel est l’intérêt de faire passer Le Pen pour un républicain, lui qui se situe dans le camp des pires ennemis, historiquement, de la République ?
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Notes :
1. « [Edito] Traité budgétaire européen : un avertissement parlementaire« , La République des Pyrénées, 10/10/12.
2. « Le risque de la grande panne politique « , La République des Pyrénées, 06/05/13.
3. « La résistible ascension de Jean-Luc Mélenchon« , Libération, 09/05/13.
4. « L’impossible autocritique des journalistes« , OPIAM, 11/01/13.
» de nos jours, on ne trouve plus de commis. Ils sont tous tentés par le journalisme » ( Karl Kraus)
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