Schneidermann donne une leçon à Mélenchon

À propos des mots de Mélenchon contre les injures des journalistes à l’égard de Chavez : « nous gardons notre haine intacte… ».

L’OPIAM a déjà salué le travail journalistique de Schneidermann (voir Le Petit Journal intouchable). Quand celui-ci est malhonnête et mensonger, il peut être utile de le mentionner.

     Dans son article paru le 11 mars dans Libération, « Télé : la leçon de Chávez à Mélenchon », le journaliste Daniel Schneidermann confirme une fois de plus le diagnostic de Mélenchon : le journaliste est, avec le curé et le psychanalyste, l’une des trois grandes figures de la vérité révélée. Comme le curé, c’est lui qui pardonne ou pas les péchés. Et le péché de Mélenchon, c’est qu’il est méchant-avec-les-journalistes. Dans son article, le journaliste populiste commence par raconter une conférence de presse à l’ONU, durant laquelle une journaliste avait interpellé Chavez sur la liberté de la presse au Venezuela et sur les chaînes de télévision privées que le régime bolivarien aurait fait fermer. Puis le journaliste populiste écrit :

« Et [Chavez] d’expliquer que le régime n’a pas « fait fermer » cette chaîne privée d’opposition, mais simplement refusé de renouveler sa concession hertzienne. La chaîne, assure le « Comandante », émet cependant toujours sur le câble. Sur le câble, c’est-à-dire avec un bien moindre pouvoir de pénétration dans les profondeurs de la population vénézuélienne, mais cela, Chávez ne le précise pas. Sur le fond, sa réponse à la jeune « Tala » est donc orientée et manipulatrice, comme toute réponse de responsable politique dans une conférence de presse. Mais le plus impressionnant est le ton paternel du « Comandante ». »

Nous avons donc là un journaliste qui va, plus loin, donner une leçon de politesse à Mélenchon, alors que lui-même se permet la vulgarité démagogique de roter des propos digne d’un beauf au PMU après son huitième pastis. Pour entendre des généralités telles que « tout responsable politique est un menteur », il suffit en effet d’aller au PMU du coin. Schneidermann écrit ensuite :

« Mais de toutes ces séquences, de toutes ces harangues, de toutes ces chansons folkloriques, revisionnées à l’occasion de sa mort [de Chavez], rien qui respire, de près ou de loin, la haine à l’égard de quiconque. La provocation, oui. La jubilation à interpeller au téléphone, devant les caméras, les puissants banquiers, pour les obliger à se pencher sur une demande de prêt (« Rodriguez, si tu ne veux pas t’en occuper, ta banque je te l’achète, je la nationalise, dis-moi combien elle coûte ») sous les rires et les applaudissements complaisants du public, oui. Mais la haine, jamais.
Bien sûr, il ne faut pas se laisser prendre au ton paternel de Chávez face à la jeune journaliste. S’adressant à la presse internationale, il savait qu’il devait donner la meilleure image du régime, et du pays. Mais tout de même, on [c’est-à-dire Moi Daniel Schneidermann et ma mémoire sélective] gardait en mémoire ce savoir-faire télévisuel en entendant Mélenchon, dans son éloge funèbre du « Comandante », évoquer la gorge nouée sa propre « haine intacte à l’égard des puissants ». Ce mot de « haine »… »

Le curé a prononcé son jugement. Mélenchon, ce que tu fais, c’est mal. Il faut être tout amour et tendre la joue au patron qui humilie et déshumanise, il faut être tout amour avec ces journalistes qui comparent des citoyens de gauche à des hitlériens. Haïr, c’est mal. Tu as cédé au péché qu’est la colère. Il va falloir se confesser maintenant. Mais pas sans avoir d’abord écouté les conseils du curé, qui ajoute :

« Mais l’exemple de Chávez montrait que l’on peut […] contester les questions des journalistes, souligner leurs lacunes, dévoiler leurs présupposés dissimulés, et comment ils sont parfois les porte-parole inconscients des actionnaires de leurs médias] avec empathie (au moins apparente) plutôt qu’en sortant les griffes. Que l’on peut (feindre de ?) considérer les journalistes comme victimes de conditionnement, plutôt que comme manipulateurs volontaires. Tout dépend sans doute si l’on considère que les médias sont structurellement les agents de la pensée dominante, ou bien si l’on peut, ponctuellement, s’adresser aux êtres humains, dotés de libre arbitre, que sont aussi les petits soutiers de la grande machine. Vaste question. Que l’on peut doubler avec celle-ci : la différence des registres adoptés par Chávez et Mélenchon tient-elle simplement à leurs histoires et à leurs personnalités, ou dit-elle quelque chose du choc des cultures, faconde sud-américaine contre maussaderie septentrionale ?
Sur le plan de la simple efficacité télévisuelle, en tout cas, il faut bien reconnaître qu’une des deux solutions est plus efficace que l’autre.
Chiche, Jean-Luc ? »

     Voilà. Comme le disait Mélenchon dans une conférence face à des apprentis journalistes, « Là où l’Église a disparu, là où les partis politiques ont été discrédités, là où l’action politique passe pour inefficace, il reste les prescripteurs de morale. Ceux qui disent ce qui est bien et ce qui est mal. Qui n’ont de comptes à rendre à personne, qu’il est impossible d’interpeller – parce que si on les interpelle, aussitôt la corporation se mobilise ; si on dénonce un comportement particulier, c’est une « agression personnelle » ; si on ne critique ni la personne, ni l’acte, mais le média, c’est le média qui réagit en temps que tel, bref : une caste d’intouchables, des vaches sacrées avec qui il est impossible de dialoguer, qui appliquent leurs propres normes, au mépris de ce qu’ils reprochent aux autres. »

L’ultra-corporatiste Scheidermann ment en occultant le fait que Mélenchon ne fait pas que « sortir ses griffes », mais qu’il conteste aussi la propagande médiatique « avec empathie ». Et il ment totalement en disant que Mélenchon considère les journalistes « comme des manipulateurs volontaires » plutôt que « comme victimes de conditionnement ». Mélenchon fait les deux ; tout dépend du journaliste qu’il a en face de lui. Schneidermann, en bon petit fabriquant de « petites phrases », a sélectionné quelques mots de Mélenchon – « nous gardons notre haine intacte » – pour sous-entendre qu’il hait en général. Or la plupart du temps, Mélenchon parle d’amour et de fraternité. Ses attaques sont le plus souvent dirigées avec humour. Il s’agit donc d’une grossière manipulation de Schneidermann.

Scheidermann montre une fois de plus qu’aucune critique radicale du journalisme par les journalistes eux-mêmes n’est possible.

Ce contenu a été publié dans 1. Libération, 4 --- PRESSE ÉCRITE ---, avec comme mot(s)-clé(s) , , , , , , , , , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

11 réponses à Schneidermann donne une leçon à Mélenchon

  1. Guy Liguili dit :

    Honnêtement, s’il n’y avait que des journalistes comme Schneidermann, les médias s’en porteraient largement mieux. On peut désapprouver son texte paru dans Libé mais je considère le journaliste plutôt comme un allié qu’un ennemi.

    • O.P.I.A.M. dit :

      Il est même clairement un allié. Mais son corporatisme est grossier et nuit au journalisme. Son inaptitude à s’autocritiquer ou son refus de l’autocritique y nuisent aussi.

  2. asinuserectus dit :

    Totalement d’accord avec Guy Liguili. Pas se tromper d’adversaire.

    • O.P.I.A.M. dit :

      Schneidermann n’est pas un adversaire, c’est même plutôt un allié. Mais quand bien même il serait militant au Parti de gauche, son corporatisme grossier n’en serait pas moins nuisible au journalisme et à la politique.

  3. GD dit :

    Oui, voilà une attaque un peu exagérée contre Schneidermann qui est sans cesse en quête de vérité.

  4. sansterre dit :

    En quête de vérité dites-vous? Ce doit être une plaisanterie… Il faut voir et revoir les films de Pierre Carles – qui fut un collaborateur de Schneidermann – et voir ce dernier baisser les yeux devant Messier. Et si cela ne suffit pas, lisez Sur la Télévision de Pierre Bourdieu… Des vaches sacrées… L’expression est belle, et bien pesée…

    Amicalement

  5. Phil dit :

    Voila bien l’exemple comment une seule phrase tirée d’une allocution formidable, faite par J-L. Mélenchon suite au décès d’Hugo Chavez, une unique phrase, peut devenir le résumé de toute une intervention, et un résumé qui – et c’est bien pour cela qu’elle a été choisie – nous dessert.

    Nous devons être encore plus exemplaires que les autres pour ne pas donner aussi aisément le flanc à ceux qui luttent contre nos idées. Mélenchon parle 1000 fois d’amour, une fois de haine… et c’est cette phrase que l’on retient.

    Nos adversaires ne reculeront devant aucune bassesse contre nous, nous devons en être bien conscients, comme il faut être conscient que le temps que l’on passe ensuite a expliquer ce que l’on voulait dire au delà de cette simple phrase nous empêche de vraiment expliquer ce pour quoi nous sommes.

    Schneidermann pointe la un élément essentiel, quoi qu’ait pu être sa volonté. A nous d’élever notre niveau d’exigence envers nous même. Qui pourra démonter des phrases telles « L’on ne peut connaître le bonheur si l’on est entouré de malheur » ou bien « l’humain d’abord » ? Personne.
    Voila pourtant notre vrai visage.

  6. AirOne dit :

    Salut,
    Sympathisant du FdG et abonné à @SI, je me permets de proposer mon point de vue Je trouve votre article juste sur certains points (le côté curé, la personnalisation des critiques), sévère sur d’autres. Parler par exemple « d’ultra-corporatiste et de populiste » me semble exagéré.
    Sa chronique assez médiocre dans Libé m’a aussi fait bondir, j’en ai parlé dans le forum d’@SI, elle est factuellement biaisée voire malhonnête et parfois méprisante sur plusieurs points :
    – pour Chavez et la chaîne dont la concession n’a pas été renouvelée, il ne dit pas que la même chaîne a appuyé le coup d’Etat de 2002 et le résume à un showman en représentation devant un public complaisant. Je ne développe pas ce n’est pas l’objet de votre article
    – pour ce qui est reproché à Mélenchon, vous relevez justement que Schneidermann caricature grossièrement et généralise une critique fine et argumentée.
    Mais, force de reconnaître que Mélenchon a globalement été bien reçu à chaque émission où il a été invité et que ce fut à chaque fois intéressant et de bonne tenue.
    Pourquoi cette chronique bâclée dans Libé alors ? Quelques pistes éventuelles. D’abord parce que c’est Libération, pas @SI, que le public n’est pas le même et que le fondateur d’@SI peut y gagner de nouveaux abonnés. La démarche me semble plus commerciale qu’autre chose.
    Ensuite parce que, selon mon ressenti, Schneidermann est double. On trouve d’un côté le journaliste qui épingle avec précision les travers de certains de ses collègues, et de l’autre celui qui tombe parfois dans les travers dénoncés et qui supporte mal qu’on lui retourne le procédé. Celui qui prend la posture de défenseur des « petits journalistes, des soutiers maltraités » par Mélenchon, et celui qui est condamné aux prud’hommes pour le licenciement d’une pigiste (http://www.acrimed.org/article2633.html). Celui qui critique le système médiatique, et celui qui en vit car c’est son fonds de commerce. Celui qui tire à boulets rouges sur la « vieille presse traditionnelle » et celui qui, au sein du SPIIL, accueille des médias sur le net dont le business modèle est en partie basé sur le travail gratuit de blogueurs sans contrepartie. Celui qui appelle de ses voeux à davantage de pluralité, et celui qui ne parle jamais de Politis, Fakir, Pierre Carles, Serge Halimi…
    Aussi faut-il le prendre pour ce qu’il propose, un travail (à plusieurs !) de journalisme plus engagé et qualitatif que la moyenne mais dont l’ADN (de journaliste, pas sa personne), le parcours et le rôle de patron d’une entreprise l’empêchent de pratiquer une critique des médias radicale tout en le poussant, parfois, à retrouver de vieux réflexes dont il pense être débarrassé.
    Sa chronique à Libé est digne d’un cancre mais ne justifie pas le qualificatif « d’ultra-corporatiste ».
    Amicalement.

    • O.P.I.A.M. dit :

      Vous avez raison, « ultra » est exagéré. En revanche, je ne crois pas que « populiste » le soit. Ces généralités telles que « les politiques » ou « tout responsable politique est ainsi », ce poujadisme ambiant sont insupportables et dangereux.

    • Marcel Friboul dit :

      Pour l’anecdote, Pierre Péan que Schneidermann avait défendu avant son licenciement du monde, se retrouva quelques années plus tard sur le plateau d’@SI, et il fut si furieux de l’attitude du journaliste lors de l’interview qu’il partit en pleine émission. En la regardant en intégralité j’ai eu l’impression que l’incident a été délibérément recherché par Schneidermann: http://www.dailymotion.com/video/x8a3g2_kouchner-pean-parle-integrale_news#.UZXKS0rl_Kc

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *