Dans son article du 20 juillet pour Libération, Lilian Alemagna, l’habitué du vocabulaire dépréciatif à l’encontre de Jean-Luc Mélenchon, et globalement de tout ce qui concerne la politique, n’a pas pu s’empêcher d’écrire – une fois de plus¹ – que les discours de Mélenchon sont des « shows ». L’autre obsession de ce journaliste est le mot « lieutenant », mot le plus courant de son pauvre, si pauvre vocabulaire, qu’il emploie chaque fois qu’il parle d’un militant conseiller ou délégué d’un responsable politique. Il est aussi fétichiste des mots « chef », « guide », « patron », « fief« , « fidèles » (désigne pour lui les militants), « convertis » (voir le détritus titré « Les piliers de la maison Mélenchon » par exemple), « OPA » (initiales de « Offre Publique d’Achat » – sigle fréquemment employé pour signifier que Mélenchon « fait main basse sur le PCF » par exemple), « parts de marché » (désigne l’électorat), « capitaliser », « séduire » (plutôt que convaincre), ainsi que les expressions « tirer à boulet rouge », « ancien »-ceci, « ex »-cela, etc.
Dans un article du 25 août, Bérangère Lepetit, journaliste au Parisien, écrit elle aussi que, « plus qu’à un meeting de rentrée, c’est à un véritable show de deux heures que l’ancien candidat à la présidentielle s’est livré devant près de 1000 personnes à l’occasion des Estivales du Front de gauche. »
« Show » est le mot que l’on retrouve le plus dans le vocabulaire des journalistes en général quand ils traitent les discours de Mélenchon. Les sympathisants et électeurs du Front de gauche ne peuvent pas venir écouter des idées, des propositions, des débats, ne peuvent pas se réunir en une assemblée, non : ils sont systématiquement réduits à l’état de spectateurs, et Mélenchon est réduit à un « show ».
Le Parisien ayant encore pondu une nullité ce 28 août, un militant yvelinois du Parti de gauche a écrit la réplique ci-dessous. Elle est nécessaire, car même si le préjudice semble dérisoire, ce vocabulaire s’installe dans la tête comme une petite musique, toujours la même : Mélenchon, quoi qu’il dise et quels que soient ses arguments, est celui qui « s’emporte ». Il ne peut pas simplement énumérer, énoncer, ni dire. Il ne peut que « tonner », « tempêter », « éructer », « aboyer » ses arguments. Le mieux qu’il puisse faire est de s’emporter.
Le Parisien tacle Mélenchon en douce
La rentrée politique de Jean-Luc Mélenchon a énergiquement réveillé le microcosme politico-médiatique hexagonal. Ce dernier ronronnait tranquillement en commentant de manière extrêmement bienveillante l’indigent changement (de style uniquement ?) auquel le gouvernement de Jean-Marc Ayrault semble avoir souscrit.
La dénonciation par Jean-Luc Mélenchon et le Parti de Gauche des renoncements des socialistes et l’accélération du mouvement vers le social-libéralisme (qu’on peut définir comme la conduite par un gouvernement se disant « de gauche » d’une politique que ne renierait pas un gouvernement de droite) a logiquement poussé la presse « libre et indépendante » à effectuer un tir de barrage pour maintenir la population dans l’état de torpeur qu’affectionne le capitalisme, où un bon citoyen est avant tout un consommateur qui ne pense pas, mais dépense.
Même dans les pages en apparence moins « politisées » des canards de l’idéologie dominante se cachent des scuds à destination de la dynamique politique que Mélenchon est en train d’insuffler à nouveau dans le pays que l’été semblait confiner à l’amorphisme.
Dernier exemple en date, la page 30 du Parisien daté du mardi 28 août, dans l’article de Benjamin Rabier² titré « Denisot débordé » . Ce papier narre la rentrée du Grand journal sur Canal+ lundi 27 août dont l’invité politique était le co-président du Parti de Gauche. Deux phrases dans ce « passionnant » article sont consacrées à Jean-Luc Mélenchon : « Au final, l’émission ultra-millimétrée n’a laissé que trop peu de place à l’improvisation. C’était sans compter sur Jean-Luc Mélenchon. Immédiatement après la chronique de Jean-Michel Aphatie, le leader du Front de Gauche s’emporte et dépasse le temps imparti. « On déborde », s’époumonait Michel Denisot avant de lancer « le Zapping » du jour. »
On remarquera le champ sémantique dépréciatif désormais systématiquement appliqué à Jean-Luc Mélenchon : il « s’emporte » et « dépasse » le temps imparti (Laurent Joffrin aurait pu écrire le même article en remplaçant les verbes par « éructe » ou « s’énerve »). Benjamin Rabier aurait été intellectuellement honnête s’il avait précisé que le co-président du Parti de Gauche (terme davantage opportun que celui de « leader du Front de Gauche ») ne faisait que reprendre et corriger les erreurs de Jean-Michel Aphatie sur les contingences entrant dans le prix de vente du carburant. Le journaliste de RTL avait sciemment omis dans son exposé (voir la vidéo à 23’30 ») les marges somptueuses dont se prévalent les compagnies pétrolières (Total a distribué à ses actionnaires plus de 12,3 milliards d’Euros en 2011) pour mieux en appeler à la sempiternelle « baisse des taxes » (TIPP et TVA), le rêve de tout bon libéral qui se respecte.
Jean-Michel Aphatie avait débuté sa chronique en expliquant que la France est en « surcapacité de raffinage »…alors que l’on importe du carburant raffiné, comme l’a rappelé Jean-Luc Mélenchon, technique des pétroliers pour contourner la législation européenne sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) et pour empocher des « primes » à la « propreté » versées par la commission européenne aux entreprises émettant peu de GES dans l’Union européenne. Supercherie que le co-président du Parti de Gauche se devait de souligner, au risque de « déborder », débordement que le « Zapping » est venu à point nommé interrompre au grand soulagement du présentateur-producteur de l’émission, Michel Denisot.
Ouf ! Il s’en est fallu de peu que les téléspectateurs de Canal+ soient appelés à s’interroger et développer un regard critique sur ce que les « experts » et « spécialistes » leur exposent comme « vérité révélée » (et donc « irréfutable ») à longueur d’émissions, articles, éditoriaux…
Notes :
1. C’est par une analyse de l’un de ses torchons que l’OPIAM avait débuté.
2. (compte Twitter @benjaminrabier)
C’est toujours un plaisir de venir se faire du mal sur ce blog. Toutes les horreurs que l’on pouvait avoir manquées finissent par trouver leur place d’honneur ici. L’OPIAM est une sorte d’Arrêt sur Clichés, un espace de déconstruction bien nécessaire, tout comme ASI ou le site d’ACRIMED. Bravo et merci !
Concernant la diarrhée du jour, commise par un Duhamel tout à fait traditionnel dans Libération, j’attends avec intérêt de voir ce que vous pourrez en tirer. J’y ai, pour ma part, trouvé matière à réjouissance !
https://alabergerie.wordpress.com/2012/08/30/le-rejouissant-paradoxe/
Cordialement
J’ai vu la vidéo de l’émission… ça pourrait être un sujet d’école, tout ce que doit éviter un journaliste qui voudrait réaliser une interview un tant soit peu sérieuse : une question à peine formulée, on en pose immédiatement une autre. Comme les questions, à l’instar des éditoriaux, sont fortement orienté(e)s, l’invité a le plus de mal à développer un point de vue contraire à la bêtise pure qui, elle, ne nécessite que très peu de mots.
(C’est bien la difficulté de l’éducation populaire à l’heure de la télévision ou du tweet. Ce n’est pas nouveau mais il est bien plus difficile de faire de la politique à gauche, puisque tous les sujets nécessitent un temps d’approfondissement, là où la droite privilégie (c’est son intérêt) slogans et petites phrases, et n’hésite pas au besoin à jouer sur les émotions (message instantané, entre autres avantages). Sans compter que souvent l’idéologie dominante sur le diagnostique (les idées reçues…) doit être dé-construite , avant de pouvoir avancer des solutions)
Bon JLM s’en sort honorablement, au regard d’un format qui ne lui va pas du tout. Plusieurs questions posées à la fois, pas de temps dédié à la réponse, cela rebondit de tout côté, les sujets se mêlent et s’emmêlent… (A un moment donné, les deux invités sont interrogés en même temps… )
Comme toujours, Apathie fait l’unanimité dans les commentaires : personne ne le supporte. Il faut dire que Mr Apathie nous fait partager son opinion comme allant de soi, avec une confiance en son jugement inébranlable.
Je me rappelle une fois… (en 2010 je crois, peut-être 2011) L’invité était Benoît Hamon. Un mini-sujet passe sur JL Mélenchon et la position du FG, sur le rôle que doit tenir la BCE notamment dans la crise grecque (prêter directement aux Etats à 1%). Fin du mini-sujet et retour sur le plateau, Apathie (regards à la Caméra, à Hamon) : « Prêter quoi ? A qui ? La BCE, c’est qui ? On ne comprend rien, c’est n’importe quoi ! Cela ne veut rien dire ! »
Vous voyez le tableau ! (Hamon le contredit gentiment « si, moi je comprend… ». malaise, on passe à autre chose)
Plus d’un an que la crise a débuté, que Mélenchon, et d’autres, défendait cette position en multipliant les passages à la télévision, à la radio… Apathie ne s’était pas intéressé à la crise ? il ne connaît pas à ce moment-là la BCE? la Banque Centrale Européenne ?! Pas terrible pour un journaliste politique ! (ironie supp, la position de Hamon est probablement la même – mais on ne va quand même pas s’intéresser AVANT aux gens qu’on invite :-), et puis quoi encore ?)
(Au passage : très classe d’attaquer quelqu’un, comme ça après un sujet, qui n’est pas là pour se défendre. > pour le coup, ça fait vraiment ‘café du commerce’)
Une autre émission d’anthologie avec Apathie : « J.L. Mélenchon à l’émission Le grand Jury le 10/10/2010 » (rtl/lci). Je n’en dis pas plus, il faut la voir – d’un bout à l’autre, le comportement de ce journaliste est une caricature (et Etienne Mougeotte complète à merveille le tableau)
@Allan E. Berger : Duhamel, dans le genre imbu de sa personne, pontifiant, est lui aussi un champion dans sa catégorie.
[un extrait (de « semaine critique » sur Fr2, le 01/03/2011) tourne sur internet : « Clash Melenchon VS Duhamel » > mdr]