LE BON COMBAT DE JEAN-LUC MÉLENCHON

La campagne de Mme Aubry contre M. Mélenchon est indigne.
Article de Paul Klein paru dans Charlie Hebdo le 6 juin 2012

     Que l’on soit ou non de ses partisans, le geste – et aussi la geste, pourrait-on dire – de M. Mélenchon force le respect. Voilà un homme qui, après avoir fait une très belle campagne en proposant un discours avec lequel on pouvait ne pas être toujours d’accord, mais enfin un discours ferme, articulé, intelligent et, surtout, courageux, osant dire, quitte à s’attirer les railleries des « experts » du calibre de Laurent Joffrin, que l’immigration n’était pas un problème, osant seul – il faut aussi reconnaître cela – défier la montée du FN, qu’on disait irrésistible, voilà donc que cet homme, au terme d’une campagne épique et sans doute épuisante, fait un score décevant au premier tour. Cet homme, après cette désillusion, décide de se lancer à l’assaut de la circonscription que l’on juge acquise d’avance à Marine Le Pen. Il sait tout ce qu’il entendra : « c’est un parachuté », « il vient pour les caméras », « méfiez-vous du grand politique médiatique », de « ceux qui donnent des coups de menton à la télé”, comme a dit Mme Aubry, préférez le « petit politique local », « les vrais acteurs », comme a encore dit Mme Aubry, quel que soit le parfum de corruption et de clientélisme qu’ils dégagent.

     Là encore, il ose, il fonce. Devant les 300 militants qui l’accueillaient à Hénin-Beaumont, il a osé affirmer : « Non, celui qui est du coin, il ne connaît pas mieux ! Il connaît bien le coin. Mais il ne connaît pas forcément ailleurs. » Il y a là, face à ses adversaires, qui célèbreront l’enracinement, le terroir, – Marine Le Pen décrivant M. Mélenchon comme le « candidat sans circonscription fixe« , Martine Aubry invoquant « la vérité du terrain » (par opposition à quoi ? le « mensonge du national » ? – il y a là un geste de défi qui rappelle l’extraordinaire scène finale du film de Pierre Carles sur Pierre Bourdieu (La sociologie est un sport de combat), où l’on voit Bourdieu, venu parler au Val-Fourré, se faire contester par les habitants, en tant qu’ « intello médiatique », incapable de comprendre leurs problèmes. Il se dresse alors face à la salle, en revendiquant, justement par sa position « extérieure », de mieux connaître qu’eux leurs propres problèmes : « Vous ne m’avez rien appris. Je pourrais vous dire des choses qui vous en apprendraient sur vous-mêmes.« 

     Mais le fond du fond est atteint quand Mme Aubry explique que la campagne de M. Mélenchon « donne à Mme Le Pen une occasion d’exister » ! C’est un peu comme si l’on disait, en voyant arriver un camion de pompiers devant une maison qui brûle, que les pompiers font exister l’incendie. « Je viens ici, car c’est une bataille qui a une signification nationale et même, si j’ose dire, internationale. » On ne peut que donner raison à M. Mélenchon. Bien sûr qu’il y trouve son compte, bien sûr que cette campagne lui permet de continuer à faire la une des journaux. Mais quelle hypocrisie ce serait de faire croire qu’un homme politique digne de ce nom ne devrait pas se soucier de stratégie ! C’est même son devoir. Un grand homme politique doit être à la fois un homme de convictions et un homme de calcul, sans quoi toutes ses convictions, aussi belles soient-elles, resteraient inefficaces.

     Le match Le Pen-Mélenchon n’oppose pas seulement la gauche à l’extrême droite. Il oppose aussi deux façons de « conduire le peuple », de faire ce que les anciens Grecs nommaient dèmagôgein. Chez eux, le terme n’était pas forcément négatif comme le mot « démagogie » l’est devenu chez nous. Il y avait deux façons de « mener le peuple ». L’une consiste à mobiliser les instincts les plus avilissants, et d’abord la peur. C’est celle de Mme Le Pen. L’autre consiste à faire entendre un discours admirable, comme celui prononcé par M. Mélenchon à Courrières (autre chose que des « coups de menton« ), qui s’adresse à l’intelligence des gens, qui les instruit, leur rend leur dignité et leur passé, qui va contre la pseudo-authenticité de l’ « affectif » localisé, dont Mme Aubry donne un bon exemple quand elle invite à sortir les Kleenex : « C’était en 1975. Je venais de débuter au ministère du Travail et je suis descendue dans un puits de la compagnie de Courrière, à Oignies”.  Cela fait donc trente-sept ans qu’elle en est remontée.

Paul Klein

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Une réponse à LE BON COMBAT DE JEAN-LUC MÉLENCHON

  1. ZapPow dit :

    Charlie Hebdo a de ces hauts et bas.

    En tout cas, voilà un bien bel article. Paul Klein a dû finir par entendre ce que disait Mélenchon, au lieu de n’écouter que « les belles personnes » à l’audition et l’entendement sélectifs.

  2. Charette dit :

    J’avais remarqué ces très bons articles de Paul Klein dans Charlie Hebdo ; il n’y travaille d’ailleurs plus depuis un bon moment, je serais curieux de savoir ce qu’il devient… et d’ailleurs aussi de savoir qui il est, car je ne trouve aucune info sur ce « Paul Klein » à part ces quelques articles dans Charlie…

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