Pour diffuser son lepénisme, Libération recourt souvent à l’astuce consistant à publier un entretien avec tel ou tel historien, sociologue, économiste ou écrivain se chargeant de faire la sale besogne. Libération peut ensuite dire : nous ne faisons que rapporter les propos de l’interrogé. Au soir des élections régionales du 6 décembre 2015, Libération a publié un entretien titré « Nicolas Lebourg : « Les thèmes du FN parlent aux gens » ».
Sous-titre : « Selon l’historien spécialiste de l’extrême droite, « voter pour le Front national représente pour ses électeurs un espoir » ».
Quatre jours plus tôt, Le Point titrait : « « Marine Le Pen, c’est notre star » ». Sous-titre : « Comment la candidate aux élections régionales en Picardie Nord-Pas-de-Calais est devenue l’icône des victimes de la crise, du chômage et de l’insécurité ». Le sous-titre n’était même pas une citation, il était de la journaliste.
Le 10 mai 2015, le Midi Libre écrivait que « le FN est devenu plus que tout autre le parti de quiconque se sent fragile ou menacé » (voir « Le match des droites aura bien lieu », article de Michel Richard).
Le 4 juin 2014, Le Monde écrivait que « La rébellion ne se niche plus dans le vote rouge mais bleu marine » et mettait cette citation en évidence, au milieu de l’article : « Le FN sait parler aux ouvriers, à ceux qui n’ont pas beaucoup de sous ».
Extraits de l’article du 6 décembre :
Le FN a-t-il réussi son pari ce dimanche soir ?
Oui, le FN a bien réussi son pari, c’est évident. Le Front national a réussi sa mutation avec une ligne très définie, un accent mis sur l’identité française, l’immigration, la sécurité. Ce sont des thèmes qui parlent aux gens. A partir du choc pétrolier de 1973, les populations occidentales ont commencé à comprendre que le monde, ce n’était pas l’Occident et l’Occident a commencé à avoir peur de l’Orient. Certains ont eu une angoisse de l’orientalisation du monde. Cela touche les gens parce que le pétrole, ce n’est plus eux, leurs vêtements ne viennent plus de chez eux… […] Le FN n’a donc pas, comme on peut le dire, un discours de haine, mais désormais, d’unité. Voter pour l’extrême droite représente pour ses électeurs un changement de vie, un espoir.
j’ai du mal à comprendre l’intérêt de cet article. « les thèmes du FN parlent aux gens » c’est l’évidence au vu des résultats des régionales, même si les gens se trompent. Les médias ont effectivement leur part de responsabilité dans la montée du FN mais pas en constatant que le vote FN exprime aussi une forme de révolte – une forme de révolte illusoire, dévoyée – contre la politique du gouvernement. C’est la politique du gouvernement qui est directement responsable de la progression du FN, pas les médias.
Le problème est aussi celui de l’hégémonie culturelle et de la superstructure de la société (idéologie/culture/contexte « sociétal ») qui maintient et conditionne et donne sa légitimité à l’infrastructure de la société (rapports de production, régime de propriété, organisation économique…), Cette hégémonie culturelle est au mieux politiquement libérale et au pire réactionnaire actuellement. Et la grande presse joue un rôle non-négligeable dans l’imposition de cette hégémonie culturelle. Elle est donc parmi les premiers responsables en tant qu’appareil idéologique. C’est elle qui a cogné sur les forces de l’autre gauche et de l’extrême gauche (quand elle ne les a pas rendu inaudible ou passé sous silence) et donné sa légitimité au FN comme alternative. Donc oui, un gouvernement de gauche qui renie son programme au niveau économique en pleine crise est responsable, mais ceux qui forment la superstructure font le reste.
Le vote FN exprime une forme de révolte, oui : semblable à la « révolution nationale » de Pétain. Oui, une forme de révolte contre un gouvernement pas assez à droite, une révolte contre les Roms, les réfugiés de guerre, les Arabes, les juifs, les homosexuels, les chômeurs – même blonds aux yeux bleus. Voilà contre qui se « révoltent » les électeurs du FN. Et le fait que des pauvres s’en prennent à d’autres pauvres, des chômeurs à d’autres chômeurs, ne fait pas des électeurs des « révoltés ». « Révolte » tout court ne signifie rien. Le national-socialisme est se dit « révolutionnaire » et en même temps assume d’être contre-révolutionnaire.
Pour ce qui est du fascisme, il se caractérise par un mouvement de masse, autoritaire d’extrême-droite qui rejette aussi bien le capitalisme (sur une base libérale) que communisme ou le socialisme égalitaire et propose une « troisième voie » corporatiste. Ce mouvement est prêt à user de la force mais il n’est jamais arrivé de lui-même au pouvoir. Les conservateurs, leurs principaux rivaux à droite leur ont fait la courte-échelle. Ils partagent la défense de la propriété privée et la haine des progressistes (libéraux, socialistes, communistes, anarchistes…), mais s’opposent sur la pratique du pouvoir: les conservateurs méprisent la « populace », et veulent que le pouvoir soit monopolisé par quelques grandes familles aristocratiques ou bourgeoises alors que les fascistes veulent une pratique césarienne du pouvoir avec un chef charismatique qui s’appuie sur une foule constituée d’individus à égalité devant lui, uniforme oblige. Les fascistes, une fois au pouvoir, sont redevable envers les conservateurs et donc doivent donner des gages aux milieux d’affaires qui les ont soutenus. Donc la troisième voie est abandonnée malgré le dirigisme étatique. Ca peut provoquer des conflits comme avec la nuit des longs couteaux ou Rohm ainsi que Gregor Strasser (figure avec son frère Otto du « nationalisme révolutionnaire », aile anticapitaliste de l’extrême-droite) furent assassinés car ils représentaient la ligne anticapitaliste du NSDAP. Une fois les fascistes seuls au pouvoir, avec les conservateurs écartés ils n’ont plus les moyens de leur politique. Les exemples les plus flagrants sont la République Sociale Italienne, et le passage des croix fléchées au pouvoir en Hongrie. Dans les deux cas, ils étaient dos au mur. Et Ferenc Szalasi comme Benito Mussolini furent exécutés. Dans les régimes d’extrême-droite qui ont traversé l’Europe du XXème siècle on peut pour chacun placer un curseur entre deux pôles qui sont le conservatisme et le fascisme. Le FN était plutôt du côté du conservatisme à l’époque de Jean-Marie. La fille avec son anticapitalisme en mousse est plus fasciste que le père, mais reste en effet du côté de la « révolution nationale » au sens pétainiste du terme.