Le journaliste rigoureux et déontologique de Libération continue d’accuser Mélenchon de germanophobie, sans aucun argument bien entendu. Le 9 mai, il l’avait déjà accusé de « jouer avec la flamme du nationalisme et les mauvais instincts anti-germains », mais il ne s’est jamais indigné des propos de son confrère Jean Quatremer, lui aussi journaliste à Libération. Non bien sûr, car lorsque c’est un confrère qui dit que « le Conseil des ministres et la Commission sont noyautés par des haut-fonctionnaires allemands », la critique est acceptable, exquise même et pourquoi pas germanophile.
Hier, Lilian Alemagna concluait son article « Oskar Lafontaine (Allemagne) l’inspirateur de mélenchon » par ce paragraphe :
« Au PG, on veut, avec Lafontaine comme avec Varoufákis, enrôler des personnalités européennes pour crédibiliser ses positions sur la monnaie unique. Et démontrer, en renouant avec Lafontaine et en le poussant médiatiquement en France, que ce n’est pas être «germanophobe» que de critiquer le voisin allemand. Dans son dernier livre (le Hareng de Bismarck), Mélenchon flirte pourtant avec l’antigermanisme primaire. »
Premièrement, Mélenchon ne « renoue » pas avec Lafontaine. D’où le journaliste sort-il cela ? Mélenchon et Lafontaine sont en contact depuis la fondation du Parti de gauche, se rencontrent régulièrement, et Lafontaine approuve la critique que Mélenchon fait de la suprématie allemande en Europe. Ensuite, le journaliste a-t-il lu le livre de Mélenchon ? L’Allemand Oskar Lafontaine, lui, l’a lu. Et voici ce qu’il en dit dans son texte germanophobe « La suprématie allemande en Europe » :
« La polémique que lance Mélenchon vise dans les faits à dénoncer la mise en place, en France, de ce programme du patronat allemand. Son exposé est convaincant. Ce programme ne marche qu’aux dépends des autres et seulement si les autres pays européens ne l’adoptent pas non plus. Cela est si simple et si logique que l’on ne peut que se demander pourquoi la Chancelière allemande, son Ministre des Finances et son partenaire de coalition ne l’ont toujours pas compris. Tous les pays européens ne peuvent pas avoir des exportations excédentaires, c’est-à-dire produire plus que ce qu’ils consomment. Ou, encore plus simple : tous les pays ne peuvent pas détenir en même temps le record des exportations. »
Germanophobe, encore, lorsqu’il écrit plus loin « on pouvait alors tâter à nouveau de la vieille folie des grandeurs allemande » à propos de Volker Kauder, président du groupe parlementaire de la CDU/CSU au Parlement allemand qui dit au Congrès de la CDU à Leipzig en 2011 : « maintenant voilà qu’en Europe on parle allemand » ?
Germanophobes aussi, les deux plus grands penseurs et poètes allemands, Nietzsche et Hölderlin, pour avoir critiqué l’Allemagne de leur temps ? Germanophobe, Nietzsche, pour avoir dénoncé le nationalisme, l’antisémitisme et le militarisme allemands ? Pour avoir accusé l’Allemagne de s’opposer à l’unification de l’Europe ? Germanophobe, Hölderlin, pour avoir qualifié les Allemands de « barbares » et de « peuple le plus déchiré » ?
« Il n’est rien de sacré que ce peuple n’ait profané, rabaissé au niveau d’un misérable expédient ; et ce qui, même chez les sauvages, se maintient ordinairement dans sa pureté divine, ces barbares maniaques de calcul en font l’objet d’un métier : comment agiraient-ils autrement ? Une fois que l’homme a subi pareil dressage, il ne voit plus que son objectif, son profit, il cesse de s’exalter, Dieu l’en garde ! il est trop pondéré ! Et quand il chôme, quand il aime, quand il prie, même quand la fête gracieuse du printemps, quand l’heure de réconciliation du monde chasse tous les soucis, quand l’innocence impose au cœur coupable sa magie, quand, enivré par les rayons du soleil, l’esclave oublie joyeusement ses chaînes et que les ennemis de l’homme, radoucis par l’air divin, deviennent pacifiques comme des enfants… quand la chenille même s’aile et que l’abeille s’enivre, l’Allemand reste rivé à sa tâche, fort peu soucieux du temps qu’il fait…
[…]
C’est ainsi que j’arrivai en Allemagne. Je ne demandais pas grand-chose, et m’attendais à moins encore. J’arrivai humblement, tel Œdipe aveugle, sans patrie, aux portes d’Athènes où l’accueillirent les ombrages du bois sacré et de nobles cœurs…Il n’en fut certes pas de même pour moi.
Des barbares de longue date, rendus plus barbares encore par leur zèle, leur science et leur religion même, profondément incapables de sentir le Divin, trop corrompus pour comprendre le bonheur des Grâces sacrées, aussi offensants pour une âme délicate par leurs excès que par leurs insuffisances, creux et discords comme les débris d’un vase jeté au rebut : voilà, mon Bellarmin, quels furent mes consolateurs.
C’est une dure parole que je vais dire, et je la dirai pourtant, parce qu’elle est véridique : on ne peut pas concevoir de peuple plus déchiré que les Allemands. Tu trouveras parmi eux des ouvriers, des penseurs, des prêtres, des maîtres et des serviteurs, des jeunes gens et des adultes certes : mais pas un homme. On croirait voir un champ de bataille couvert de bras, de mains, de membres pêle-mêle, où le sang de la vie se perd lentement dans les sables…
À chacun sa tâche, diras-tu, et j’en conviens. Encore faut-il qu’on l’accomplisse de toute son âme sans étouffer en soi les énergies qui ne servent pas aux fins immédiates ; encore faut-il ne pas mettre d’aussi avares précautions à n’être littéralement, hypocritement, que ce que l’on passe pour être, alors que l’on doit être gravement, amoureusement ce que l’on est ! C’est ainsi que l’esprit ne déserte pas l’action ; et s’il se sent confiné dans une spécialité où il étouffe, qu’il la rejette avec mépris et apprenne l’art du labour !
Or, tes compatriotes aiment à s’en tenir à l’indispensable : de là qu’il y a chez eux tant de travail gâché, et si peu d’œuvres libres, authentiquement exaltantes. Encore pourrait-on en prendre son parti, s’ils n’étaient pas aussi totalement insensibles à la beauté vivante, si ne pesait partout sur ce peuple la malédiction de la perte des dieux de la Nature.
Les vertus des Anciens ne sont que de brillants défauts, a dit un jour je ne sais quel mauvais plaisant. Et pourtant, leurs fautes mêmes sont encore des vertus, parce qu’un esprit d’enfance et de beauté persiste en elles, parce que rien de ce qu’ils faisaient n’était sans âme. En revanche, les vertus des Allemands ne sont qu’un brillant mal, et rien de plus : car elles ne sont que mesures d’urgence, imposées à la sécheresse du cœur, avec des ahants d’esclave, par une lâche angoisse, et elles ne peuvent consoler l’âme pure qui aime à se nourrir de beauté et qui, hélas ! gâtée par le saint concert des êtres nobles, ne peut souffrir les dissonances qui déchirent le faux ordre, l’ordre mort de cette nation. »
Francophobe, Mélenchon, lorsqu’il impute la responsabilité aux Français de la ruine des agricultures locales en Afrique par la concurrence déloyale, lorsqu’il dit « non, c’est nous qui avons volé leur pain » (voir le discours de Nice, 24 mai 2011, à 33 minutes) ? Germanophobe, lorsqu’il dit que le vote pour Merkel est « un vote d’égoïsme national » ?
Reste que Mélenchon se devrait de saluer la réaction de la société civile allemande face à l’afflux de réfugiés. Des dizaines de milliers de citoyens se pressent pour apporter leur aide dans les centres de demandeurs d’asile, et c’est toute la société (presse, clubs de sports, associations locales) qui fait preuve d’une solidarité sans faille. Au lieu de ceci, Mélenchon prétend que cette générosité serait calculée parce que l’Allemagne manque de bras. C’est parfaitement faux: l’Allemagne connaît une très forte immigration de travail et refuse de nombreux migrants qualifiés. Qu’on le veuille ou non, ce mouvement de fond de la société allemande en faveur des réfugiés est bel et bien un geste humanitaire, et il faut le dire. Je précise que je vis en Allemagne dans un quartier de 10 000 habitants qui accueille 1200 migrants…
Il y a du calcul de la part du gouvernement allemand, et une part de générosité, c’est évident, du peuple allemand. Mais vous oubliez que le peuple allemand approuve le traitement brutal infligé au peuple grec. Il veut Merkel, donc il veut cette brutalité.