L’article de Jean Quatremer « Florian Philippot : « de toute votre carrière, je ne vous parlerai jamais ! » » paru le 11 mars dans Libération, ne traite pas de Jean-Luc Mélenchon. Mais il est intéressant car c’est un cas typique de nombrilisme journalistique, où le journaliste nous raconte sa vie en pièce de théâtre. Il est aussi amusant de voir que ceux-là mêmes qui reprochent à Mélenchon de personnaliser la politique sont les mêmes qui personnalisent leurs productions journalistiques. Ce sont les mêmes aussi, par exemple, qui réduisent une manifestation de 80 000 personnes à « la manif de Mélenchon » : lors de la manifestation du 30 novembre 2012 contre le Traité budgétaire européen, la majorité des journalistes avaient focalisé l’attention sur Mélenchon, « tête d’affiche de la manifestation » et se trouvant « sur tous les fronts »¹. Les revendications des plus de 80 000 manifestants, des autres partis et porte-parole étaient ainsi éclipsées. Bien entendu, les coupables de cette personnalisation sont « les-politiques », pas le Parti Médiatique.
Revenons à l’article de Quatremer. Il contient neuf fois le mot « moi » et vingt-huit fois les mots « me » et « je ». Le journaliste a seulement oublié de nous parler de son sommeil, qui ne va pas fort. Quatremer : journaliste, auteur de théâtre ou autobiographe ? Quatremer ne nous a pas parlé de son problème de digestion. Suspense : Quatremer a-t-il pris son petit-déjeuner ? Jusque dans les chiottes, découvrez la vie de Quatremoi.
Deux autres cas de nombrilisme journalistique
Le Monde
Dans son analyse « Diabolisation de Mélenchon et nombrilisme journalistique : les errements du magazine du Monde », Antoine Léaument avait fait un relevé du champ lexical des médias dans un dossier de M, le magazine du Monde, paru le 4 mars 2013 (veille d’une marche nationale) titré « Le grand MÉCHANT Mélenchon » (méchant est bien en majuscule, et des photographies de la couverture sont truquées²) :
Journalistes / plateaux de télévision / plateau de télévision / Grand journal / studios / les journalistes / plateaux de télévision / émission « Des paroles et des actes », sur France 2 / record d’audience / grandes émissions / la presse / Le Monde / journal / journalistes / interview / émissions de grande écoute / divertissement / « On n’est pas couché », l’émission de Laurent Ruquier sur France 2 / émission / divertissement / starlette lambda / audiences / le plateau de l’animateur vedette / magazine GQ / la plume / Les dépêches du Jura / médiacrates / éditorialistes / journalisme / rubricards des quotidiens / les photographes / interviewé par Le Monde, TV5 et RFI / étudiant en journalisme / bus des journalistes / photographe de Libération / un journaliste de L’Express / journal / hebdomadaire / Christophe Barbier, directeur de la rédaction / médias / tribunes / gens de médias / des journalistes / émissions de télévision.
Il notait que « l’article considéré parle autant de Mélenchon que des journalistes. Plus exactement, une bonne partie de l’article est consacrée à l’étude du rapport que le coprésident du Parti de Gauche entretient avec ces derniers : sur trois pages rédigées, ce sujet représente à lui seul une page entière. Nombrilisme. »
France TV Info
« Moi » + « je » = « LE journaliste »
Encore le 4 mai 2013, dans « Jean-Luc Mélenchon, les cinq visages d’une stratégie« , dont voici l’une des illustrations neutres, objectives et non partisanes…
… le nombrilisme outrancier du journaliste Christophe Rauzy (France TV Info) allait jusqu’à affirmer que « le journaliste » (Moi-Christophe-Rauzy) servait de « répétiteur » du discours de Mélenchon et qu’il était « aussi là pour l’aider à l’élaborer » :
« Je comprends alors que j’ai servi de répétiteur du discours déclamé sous mes yeux. Le journaliste, doublement utile, ne fait pas que relayer le message « cru et dru », il est aussi là pour aider à l’élaborer. »
Christophe Rauzy se croit l’incarnation « du » journaliste, comme s’il n’existait qu’une sorte de journalistes, « le » Christophe Rauzy. Dans la dernière page de son article, le nombrilisme journalistique atteint ici un tel degré qu’il faut le lire pour le croire :
Comment Mélenchon m’a pris pour son sparring-partner
A quelques heures de mon reportage, un collègue me demande : « Ouh là ! Tu interviewes Mélenchon ? Et tu comptes revenir vivant ? » Le premier contact est en fait très cordial. L’entretien a été calé quelques jours auparavant, pas de mauvaise surprise pour le leader du Front de gauche. La rencontre a lieu dans un TGV qui le conduit à Rennes, dans un wagon de première classe, quasi vide. Entouré de ses proches, l’homme est de bonne humeur.
Blague facile et diversion
« Alors comme ça, vous avez des questions ? Eh ben asseyez-vous ! » Je l’interroge sur ce déplacement en zone rurale. Il me répond, d’une voix basse et douce, qu’il connaît bien le milieu rural, lui, le Jurassien. Les yeux deviennent plus perçants quand je lui fais remarquer que l’électorat ouvrier du coin penche plutôt pour le FN. « Mais pourquoi cette manie de croire que le déterminisme social est lié à la classe sociale ? » J’obtiens un cours de sociologie en guise de réponse. Je sens le piège de la diversion arriver et me refuse à l’alimenter avec ma réponse.
Mais l’ambiance reste joyeuse. Jean-Luc Mélenchon est lancé. Du coup, il devient encore plus difficile à manœuvrer, tant il multiplie les formules travaillées. Prenant l’exemple de la fermeture de l’usine Candia qu’il a visitée le matin même, il lâche : « On nous dit : ‘ça marche pas, c’est à cause de la mondialisation’. Mais il y avait des vaches en France avant la mondialisation ! On sait faire ! » On sourit, pendant que son staff rit aux éclats. « Le gouvernement a une vision économique archaïque, celle de l’économie de l’offre… » Après le cours de sociologie, place au cours d’économie.
Point Godwin
En professeur bienveillant, il pose une main sur mon bras et me pointe un doigt sur l’épaule quand il veut mon avis. Je m’aperçois vite qu’il en profite encore pour écarter les questions. Il bifurque ainsi sur la domination allemande au sein de l’UE. « C’est dangereux, en Europe, qu’un peuple en domine d’autres, on l’a déjà vu dans l’histoire, et on sait où ça a mené. » Point Godwin, check. Je dodeline de la tête en prenant des notes, et en souriant quand même.
Le train entre en gare de Rennes. « A tout à l’heure pour le meeting. » Et quelques heures plus tard, je comprends pourquoi un des lieutenants de Jean-Luc Mélenchon prenait plus de notes que moi pendant l’interview. A la tribune du meeting du Front de gauche, son patron enchaîne des formules familières : les vaches et la mondialisation, le cours d’économie, le danger de la domination allemande, rien ne manque ou presque. Je comprends alors que j’ai servi de répétiteur du discours déclamé sous mes yeux. Le journaliste, doublement utile, ne fait pas que relayer le message « cru et dru », il est aussi là pour aider à l’élaborer.
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Notes :
en fait, plus je lis vos différents blogs, et plus je me pose la question : pourquoi n’êtes vous pas révolutionnaire ? pourquoi vous contentez-vous de soutenir la gauche keynésienne ?
Question très pertinente !
En fait, il y a pas mal de révolutionnaires au PG, du moins de vrais anticapitalistes. Ce que j’y vois (sans être militant du parti), c’est qu’il y a énormément de débat dans toutes les commissions. En particulier à la commission économie. Mais un programme doit se bâtir sur une vision structurée à long terme. Les militants ont débattu puis votés. La majorité a choisi un discours keynésien. Attendons le prochain congrès du parti et espérons une évolution vers la radicalisation du discours !