Billet complété le 30 décembre 2014
Quoi que fasse ou dise Le Pen, un grand nombre de journalistes se régalent à dire que Mélenchon le fait ou le dit « aussi ». Le Pen critique un membre du gouvernement, l’Union européenne, ou feint de s’en prendre au salaire indécent de tel ou tel ? Aussitôt le journaliste se précipite et note que Mélenchon « aussi ». Même le journaliste de Mediapart se laisse aller à cette absence de pensée (Le Pen critique les journalistes, or Mélenchon aussi, donc mettons-les tous les deux dans le même sac en disant que Mélenchon et Le Pen critiquent tous les deux les journalistes, sans même questionner la nature de ces critiques, qui n’ont strictement rien de semblable). Ce grossier corporatisme, ce nombrilisme journalistique obscène atteignent même les journalistes les moins incultes, les moins stupides.
Ce 13 octobre, Jonathan Bouchet-Petersen, le collègue de Lilian Alemagna chez Libération, écrit dans « Macron sans « tabou » sur l’assurance chômage » :
« Et si le banquier Macron [il a été une star de la banque Rothschild, ndlr] s’attaquait sans “tabou” ou “posture” au problème des dividendes ? Timidité ou défense de sa classe ? » a tweeté le député « frondeur » Pascal Cherki. Même angle chez Marine Le Pen, qui a accusé Macron, le « banquier », de défendre « l’intérêt des banques » contraire « aux intérêts des peuples ». Tandis que Jean-Luc Mélenchon, à l’autre bout de l’échiquier politique, a aussi interpellé ce « M. le banquier», typique de « ces gens […] ignobles » à gauche qui confondent « tabou » et « acquis social ».
Il y a certes une nuance par rapport à l’habituel « Mélenchon a dit aussi que » : un membre du PS y est ici inclus. Mais pourquoi s’obstiner à ignorer le fait que Le Pen a un discours néo-national-socialiste au sens propre du terme ? Pourquoi nier son projet, qui est de capter une partie de l’électorat populaire de la gauche faible d’esprit, aux convictions peu fermes ? Pourquoi ne pas le dire ? Pourquoi se contenter de la citer sans la démasquer ? Pas par calcul. Libération et les autres sont trop faibles d’esprit pour ça. Par jeu. Un jeu glauque, nihiliste, un jeu d’hommes désabusés, fatigués. Cela les amuse. Ils trouvent ça drôle. Comme dit une autre incarnation du nihilisme, Yann Barthès :
« La politique m’a toujours intéressé. J’adore ce petit théâtre.
La vie de tous ces personnages m’excite. »¹
Le même jour dans le journal Sud Ouest, le journaliste Bruno Dive écrit, dans son article « Deux gauches face au » modèle social » :
« Le ministre de l’Économie ne pouvait pas plus mal choisir son jour : en plein conseil national du PS, il était certain de recueillir un franc « succès ». Mais ce « banquier », comme l’appellent Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon, n’est pas nécessairement au fait du calendrier d’un parti auquel il dit appartenir. »
Une fois de plus, les noms de Mélenchon et de Le Pen se retrouve accolés. Une fois de plus le lecteur a sous les yeux ces deux noms, qui semblent dire la même chose ou avoir les mêmes cibles. Tous les jours. Cela crée une ambiance, une routine. François Hollande a avoué son projet glauque : voir Marine Le Pen en tête au premier tour et lui élu au second. Sans avoir rien à faire d’autre qu’une campagne de plus sur le vote « utile ». Sauf qu’il ne sera même pas au second tour.
Mais quel est le projet glauque de tous ces journalistes nihilistes ? Ce n’est même pas de voir Le Pen au second tour en 2017, car leur nihilisme est encore pire, si c’est possible, que le nihilisme lepéniste : ils préfèrent vouloir le néant que vouloir le pire. Or la première volonté alimente l’autre. En attendant, ils jouent.