Les grands simplificateurs
« Le FN veut «attaquer à mort» les journalistes« , article signé « Libération ». La conclusion de l’article est d’une profondeur abyssale : Le Pen critique les médias, or le Parti de Gauche critique aussi les médias. Donc ils ont quelque chose en commun. Bon, leurs critiques n’ont absolument rien à voir l’une avec l’autre, mais ce n’est pas grave. D’ailleurs, il n’est même pas utile de le mentionner. La déontologie ? La précision ? La qualité de l’information ? Pour quoi faire ? Ce qui compte, c’est de toujours jouer les victimes et les saints. Surtout, ne jamais se remettre en question.
« De longue date, et quoiqu’elle doive une partie de son destin politique à des passages médias réussis, Marine Le Pen n’a jamais hésité à houspiller les journalistes – désignés par elle et son entourage comme une «caste», pilier de «l’oligarchie» et du «système». Une manière de souder ses militants contre un ennemi commun, et de retourner contre l’adversaire la «diabolisation» appliquée au Front National. Une recette parfois reprise par d’autres formations, comme le Parti de Gauche et l’UMP, prompts à voir dans les médias la cause de toutes leurs turpitudes. »
Marine Turchi, spécialiste de l’extrême droite à Mediapart, avait fait exactement la même chose (17 décembre 2012). Elle avait mis Mélenchon et Le Pen sur le même plan, pour le motif de leur soi-disant égalité d’attitude à l’égard des journalistes. À la fin de son article critiquant l’attitude de Le Pen à l’égard de la presse (« Fragilisé, le FN oublie sa stratégie de « dédiabolisation »« ), la journaliste écrivait :
« D’autres responsables politiques (Nicolas Sarkozy, Jean-Luc Mélenchon, etc) ont aussi fait preuve d’agressivité à l’égard des/de journalistes, pendant la campagne. La Société des Journalistes de Mediapart, comme d’autres rédactions, l’avait dénoncé (à lire ici). »
Gros paquets, grands empaqueteurs. La catégorie « les critiques des médias » n’a pas plus de sens que la catégorie « les médias ». Cependant, pour ce qui concerne les deux exemples ci-dessus, la première catégorie est non seulement diffamatoire, mais surtout, elle embrouille les choses, au lieu de les rendre claires et compréhensibles pour les lecteurs. Très souvent – comme ici – elle établit l’équivalence du fascisme et de son contraire. Elle gomme la différence fondamentale qu’il y a entre critique républicaine, démocrate des médias, et critique fasciste des médias. L’une veut plus de liberté dans la presse, elle veut du pluralisme, des conditions d’exercice dignes ; l’autre veut bâillonner la presse. Pour tant de journalistes simplificateurs, tout ça, c’est du pareil au même. Ce sont « ceux qui critiquent la presse ». Néant absolu de la pensée.
Ceux qui ont un rapport avec les fascistes, ce sont précisément ceux qui ne supportent pas la critique des médias. Ce sont ceux qui veulent la bâillonner, ceux qui confondent liberté de la presse et pleins pouvoirs, liberté d’expression et liberté d’injurier, de calomnier.
Quant au second paquet – « les médias » –, il est justifié. D’une part, excepté Le Monde diplomatique et quelques autres, il y a un esprit moutonnier dans l’ensemble des médias, une inculture générale, un poujadisme ambiant ; d’autre part, le paquet « les médias » n’amalgame pas les fascistes et leur contraire, car les médias ne sont pas divisés distinctement en partis. Le seul amalgame qu’il peut faire, c’est celui consistant à mettre dans le même sac les journalistes qui respectent la charte de déontologie de leur profession, et ceux qui ne la respectent pas… ce qui est beaucoup moins grave que d’assimiler un antifasciste à un fasciste.
Où sont les « décodeurs », « désintoxiqueurs », « détecteurs » et autres « décrypteurs », pour expliquer que la critique de Mélenchon n’a strictement rien à voir avec celle de Le Pen ? Oh ? Il n’y a plus personne ? Impartialité, neutralité, objectivité et déontologie bien sûr.