Extraits d’un entretien entre J.-L. Mélenchon et un journaliste
En octobre 2013, Jean-Luc Mélenchon s’est entretenu avec un journaliste de la revue Charles, Marc Endelweld. Parmi les thèmes qui ont été abordés, voici ceux que l’OPIAM a sélectionnés, en toute objectivité et neutralité, et bien entendu loin de tout esprit partisan :
1. De quoi sont capables Libération et Le Monde ; pourquoi Mélenchon a fait 11% et pas 18% ou 20%. 2. Ne pas sous-estimer la capacité de nuisance et la responsabilité des « petits » journalistes (le plus venimeux : Lilian Alemagna) ; ne pas se contenter de dénoncer les patrons de presse pour amnistier les laquais. 3. Garder à l’esprit que discréditer le système médiatique est un objectif central de la lutte, et non pas annexe. 4. Le poujadisme des trop nombreux journalistes qui pensent que tout est de la « com’ » et que la politique est de la vente. 5. Les gens qui pensent qu’il faut être gentil pour être « audible ». 6. Les journalistes qui veulent du sang. 7. Le prestige social des petits journalistes mal payés et maltraités ; ceux qui choisissent la résistance, ceux qui choisissent la servitude volontaire. 8. Un programme pour révolutionner les conditions d’exercice du métier de journaliste.
Voici la présentation neutre et objective du contenu de la revue, au dos :
« D’un côté, une presse qui va mal, de l’autre une démocratie qui ne se sent pas très bien. Oui, mais comment vivent-elles ensemble aujourd’hui ? Comment se porte le couple ? Est-il toujours aussi lié, ou bien, un espace de liberté a-t-il été trouvé avec Internet, comme semble le prouver l’affaire Cahuzac ? Si Jean-Luc Mélenchon agonit d’insultes les médias, traite les journalistes de « larbins » et de « collabos » et suppose qu’un journaliste politique ne saurait être objectif, doit-on forcément le croire ? Il faut sans cesse vérifier la bonne santé démocratique du quatrième pouvoir et son degré d’indépendance. Rappelons que dans le dernier rapport de Reporters sans frontières, la France pointait au 37ème rang mondial de la liberté de la presse. »
Cela dit, la différence de traitement de J.-L. Mélenchon par cette revue est totalement différente de ce qu’on peut trouver en règle générale dans la presse. L’illustration de la couverture et les trois photographies qui illustrent l’article sont respectueuses de J.-L. Mélenchon.Voici par exemple, à droite, celle qui clôt l’entretien :
Voici les extraits de l’entretien :
Votre cible principale est donc les journalistes politiques ?
Absolument ! Les journalistes politiques ! Les autres, je ne les connais pas ! N’ayant jamais à faire avec la rubrique sportive, comment voulez-vous que j’ai un avis sur la question ? Quant à la rubrique culturelle, je suis comme tout le monde, j’ouvre, je regarde, je me dis : « Tiens, ils disent que…« . Ce n’est pas mon domaine. Comme je suis bon public dans les autres pages d’un journal, je me dis pour ceux qui sont bon public dans les pages politiques : « Comment ils se font avoir ! » Après, il y a des degrés dans la manipulation…
C’est-à-dire ?
Bon, le sommet dans la manip’, pour moi, c’est Libé. À chaque fois, leurs trois entrées sont trois attaques contre moi, plus le fait qu’ils changent les questions après l’interview. Parfois, ils changent aussi les réponses relues… alors là, c’est « la totale » !
Mais vous relisez les interviews pourtant…
Bien sûr, mais ils changent les questions après relecture ! Une fois, ils ont remis des mots que j’avais enlevés. Vous n’imaginez pas ce que c’est ! Si je vous le raconte, vous ne me croirez pas ! Lors des assises écosocialistes du Parti de gauche, j’ai eu deux pages d’interview dans Libération. Je vais vous prendre cet exemple car à partir de là, j’ai décidé de ne plus avoir de relation avec eux, tant c’était un sommet dans l’escroquerie ! Ces assises, c’est un événement, des mois de préparation… Je suis tout feu tout flamme quand ils proposent une interview. Je préviens « C’est sur l’écosocialisme !« , « – Oui, sur l’écosocialisme, bien sûr !« . On fait l’interview, on parle pendant une heure et demi, beaucoup trop, comme avec vous d’ailleurs, alors que l’une des règles de sécurité, c’est de ne pas parler trop à un journaliste, de dire uniquement ce que vous avez formaté à l’avance… On parle, on parle, et puis après, on a fini, on boit le café, on blague… Mais au final, toute l’interview qu’ils voulaient publier, ce n’étaient que des blagues bien caricaturées. Et tenez-vous bien, quand je l’ai relu, je vous donne ma parole d’honneur que c’est la vérité, il n’y avait qu’une question : « Qu’est-ce que l’écosocialisme ? » et il y avait marqué à côté : « À vous de répondre, 800 signes. » C’est à dire qu’ils n’avaient rien décrypté de l’interview réelle ! Ils ne s’étaient intéressés qu’à tout le reste, et c’était à moi d’écrire après coup la réponse. Donc on leur a dit : « Écoutez, voilà, il y a une nouvelle pour vous, on refuse l’interview, on jette tout à la poubelle, on ne vous parle plus !« . « – Ah, non non non ! » « – Mais si, mais si !« . Ils n’arrivaient pas à le croire ! Ils pensent qu’ils sont tellement importants, tellement précieux…
C’était des rubricards ?
Bien sûr que c’était des rubricards ! Ils se battent pour avoir de la place dans le journal, donc ils survendent des informations extraordinaires dans un milieu qui m’est profondément hostile ! La chefferie de Libération m’est profondément hostile ! Tout ce qui a plus de 45 ans est social-libéral. Là, ce sont des ex-maoïstes, ex-polpotistes, j’en passe et des meilleures. Toux ceux qui ont moins de 40 ans, en général, me sont favorables ainsi qu’au Front de gauche. À Libé, dans le vote interne, je fais 30%.
Mais dans les journaux, la ligne politique est décidée par les plus de 45 ans.
Ce sont des enfants de la bourgeoisie et des déclassés de la petite bourgeoisie. Ils sont en manque de reconnaissance sociale et ont une peur bleue car leur navire est en train de couler. Mais je termine mon histoire ! Je leur dis : »Voilà, on refuse l’interview » et ils finissent par dire « Vous réécrivez tout !« . J’ai donc intégralement écrit deux pages de Libération, tout seul. En face de personne. Dedans, je n’abordais pas uniquement l’écosocialisme. J’avais aussi déclaré : « C’est une caractéristique d’une période d’ancien régime que les élites n’arrivent pas à se projeter dans un autre univers mental. » Je donne l’exemple de Louis XVI et je dis qu’il aurait pu se tirer d’affaire, ensuite je prend l’exemple de Hollande et je dis qu’il pourrait se tirer d’affaire. J’en discute avec eux, et ils me demandent : « Alors, Hollande, c’est Louis XVI ?« . « Non, c’est pas du tout ce que j’ai dit !« . Car je connais le numéro « Mélenchon veut couper des têtes…« . Du coup, j’enlève la référence à Louis XVI de l’interview, mais ils le remettent quand même et font le titre dessus : « Mélenchon : « Hollande, c’est Louis XVI« . Dépêche AFP, polémique. Tout mon week-end qui était consacré à l’écosocialisme est pourri par une formule qu’ils ont inventée… Pour moi, ce sont des voyous. Donc je ne les vois plus, je ne réponds plus à leurs questions, je ne leur adresse plus la parole… Je ne veux plus rien avoir à faire avec eux, jamais, d’aucune manière. » […] Qu’est-ce que j’en ai à faire des clowneries de Libération ? Ils racontent ce qu’ils veulent, ça ne change jamais, c’est continuellement des saloperies sur mon compte, venimeuses, méchantes, perverses… C’est leur style à eux. En résumé : « Gnagnagna ! ». Sarcastico-aigre, libéralo-libertaire.
Un style ironique ?
Non, ironique, ça peut être intelligent. Là, c’est stupide. C’est de la méchanceté gratuite, la vanne pour faire croire que le journaliste n’est dans la main de personne puisqu’il insulte tout le monde. En fait, ils ont complètement renoncé à la logique du journalisme factuel : « Il y a un fait, lequel ?« , « Quelqu’un a dit quelque chose, quoi au juste ?« , « Je ne comprends pas bien ce qu’il dit, donc j’essaye de bien comprendre. » Eux, ce n’est pas ça, c’est « faire dire une saloperie« , « trouver un moyen d’opposer l’un à l’autre pour vendre du papier« … Je connais la méthode, je l’ai pratiquée à la Dépêche du Jura en voulant les imiter à l’époque !
Avec Libération, j’en étais déjà à je ne sais pas combien d’incidents du même type. Quand ce n’était pas le titre ou l’interview, c’était la photo qui était absolument répugnante pour moi, gros plan insultant et ainsi de suite… Maintenant, le gars qui fait la photo vous prend pour un mannequin. Il vous dit : « Posez comme ci, faites comme ça. » Et moi comme un imbécile, je joue le jeu. Il me dit « Faites comme si vous vouliez me convaincre« , alors on me voit les yeux exorbités et BAM ! Ils passent ça en énorme ! Bon, je me suis fait avoir, tant pis pour moi, n’est-ce pas ! Pas une fois mais deux ou trois fois. Donc maintenant, c’est non !
Mais vous aimez jouer avec ça, non ?
Non, ne leur cherchez pas d’excuses ! J’assume : ce sont des fautes indignes de leur part et une naïveté coupable de ma part.
J’essaie juste de comprendre votre comportement à leur égard, en fait.
Mon comportement est de deux ordres. Ils est purement rationnel car je sais quelle place ils occupent dans le système politique. Ils sont la seconde peau du système. C’est-à-dire qu’ils le protègent, comme l’épiderme, la surface de contact qui crée des réflexes, des réactions, etc. Mais je suis individuellement indigné par le comportement malhonnête, et par l’attitude de voyous des gens qui font ce métier, qui vous mentent, qui vous racontent des histoires pour vous attirer dans un guet-apens, qui vous manipulent…
[…] Le journal qu’il ne sert à rien de lire, c’est Libé ! Le Monde, ça sert à une chose : : savoir ce que vont penser les 10 000 importants du pays. La classe moyenne supérieure, les gens qui travaillent dans les ministères. […] Je suis en guerre avec Le Monde, ou plus exactement Le Monde est en guerre contre moi puisqu’ils ont même engagé un procès contre moi avec un de leurs journalistes, qui est un ancien de l’action terroriste argentine, et j’ai fait l’erreur de le dire…
C’est une affaire toujours en cours ?
Oui, j’ai été convoqué, figurez-vous. J’ai des affaires en cours avec madame Le Pen et avec Le Monde. Et puis, en réalisant un numéro entier de son magazine contre moi, Le Monde a battu un record ! On avait fait à aucun autre homme politique ce patchwork qui est un fac-similé de photos d’Adolf Hitler, qui s’est entraîné à parler devant un miroir ! Le Monde me montre de la même manière… Beaucoup de journaux ont fait un décryptage de ce procédé scandaleux. Dans l’article, il y avait soixante fois le mot « agressif » [Antoine Léaument en a fait une analyse lexicale¹]. Le Monde m’a tiré dessus toute la campagne présidentielle… […]
Vous dites « il n’y a pas de journalisme politique neutre« . Mais la politique, ce n’est pas que du factuel, c’est aussi du symbolique. Et aujourd’hui, la politique est construite avec les médias…
C’est cela qui est absolument condamnable ! Comme le factuel dominé par l’image communicationnelle est de l’ordre du symbolique, il faut y apporter un grand soin. Or, quelle conclusion en ont tirée les journalistes ? Que tout est de la com’ ! Si vous dites « Il fait jour« , ils vont se demander : « Mais pourquoi il dit qu’il fait jour ?« . Mais attentez, j’ai quand même dit qu’il faisait jour ! Résultat, ils fabriquent souvent de la politique à partir de ce que vous dites, mais pas sur ce que vous dites. […]
Quel est le cœur de la politique ? C’est la conscience ! Ce n’est rien d’autre ! C’est convaincre… Quelles sont les méthodes pour convaincre ? Beaucoup de gens pensent que pour convaincre, il faut être gentil. L’autre méthode, c’est l’euphémisation permanente : vous êtes important à cause de votre fonction, de votre titre ou de l’avenir qu’on vous prête, et vous vous efforcez de ne faire de peine à personne en parlant toujours une langue mielleuse, à bords ronds, qui ne veut rien dire, où tout est euphémisé, où tout est en double négation. Ça, ce sont les socialistes, ou plutôt les solférieniens, car ce ne sont plus des socialistes. Moi, j’ai une autre technique, qui a été choisie délibérément, après avoir travaillé et réfléchi : c’est le choc, la conflictualité qui crée la conscience.
Une stratégie de la provocation ?
Oui, si vous tenez à parler à ma place, mais ce n’est pas le bon mot… Je préfère parler de stratégie de conflictualité. C’est-à-dire introduire du conflit de conscience partout, et si possible à l’endroit où il va produire le plus grand rayonnement possible. […]
Vous avez été influencé par le combat en Amérique du Sud de la gauche, mais un mouvement social comme celui de 1995 en France avait déjà suscité toute une critique des médias, je pense notamment à l’association Acrimed, initiée par des sociologues proches de Pierre Bourdieu. Ça a joué également ? [sur le fait d’avoir un contact direct avec les médias]
[…] Je m’intéressais à l’époque aux petits rouages de transmission. Ma question était : « Comment passe-t-on des grands rouages macroéconomiques au consentement intime à l’ordre établi ? » « En quoi consiste le consentement à l’autorité ? Qu’est-ce qui fait qu’on y consent ? » Car, à gauche, on disposait d’une critique superficielle. Tout était dû au « conditionnement ». Ramené au domaine des médias, ça donne : « les médias qui sont payés par les grands financiers…« . Ce n’est pas vrai, ça ne se passe pas comme ça ! Le mécanisme de transmission à l’adhésion à l’autorité est beaucoup plus complexe et prégnant.
Vous vous intéressiez donc aux « petits rouages » journalistiques ?
Oui, à la conscience individuelle. Au-delà du journaliste qui a peu d’intérêt dans cette histoire parce que, par définition, il ne représente rien, c’est plutôt les gens qui reçoivent cette marchandise et qui en sont infectées. Car l’information manipulée est un produit toxique ! Et puis, il y a eu des grandes secousses qui nous ont tous obligés à réfléchir : la guerre du Golfe, avec l’histoire des fausses armes des destruction massives, ou bien le fait qu’en 2005, tout le système médiatique, nuit et jour, était contre nous ! Mais malgré cela, nous gagnons. Une véritable bouffée d’oxygène. D’un coup, nous avons compris que leur unanimité était leur faiblesse. Comme ils disent tous pareil, t’en fracasses un, tu les fracasses tous. À partir de là, j’ai mieux compris comment structurer une ligne d’attaque. […] De là découle la tactique générale : premièrement, le programme, s’adresser à la raison. Deuxièmement, convoquer les valeurs de référence et les mettre en scène, « esthétiser » les valeurs de gauche, l’amour, la fraternité, le drapeau rouge, le poing fermé… Et troisièmement, proposer une identité ; pour nous : être les enfants des Lumières.
À chaque fois, il faut entrer par une formule de conflit. Sinon, vous n’entrez pas. Sur le programme, ça a été « Au-dessus de 300 000 euros, je prends tout. » […] Les gens qui ne m’aiment pas se disent : celui-là, il est fou. Mais de ceux-là, je n’en ai pas besoin. Quelques-uns finissent par être ébranlés, ils disent « Oui, quand même, il a raison, il y a une limite. » Entendre un homme politique parler d’amour et de fraternité, cela ne s’était pas vu depuis un moment. Quant à l’identité, les Lumières, c’est pareil. Tant que j’ai parlé des bienfaits de la grande Révolution, ça glissait. Quand j’ai commencé à mettre un nom, Robespierre, tout a changé. La surprise et les cris des effarouchés créaient la curiosité. Et à chaque fois, j’ai pu constater ce que j’avais observé en 2005. Le conflit crée une conscience et un militantisme. Quand vous réalisez l’offense d’être pris pour un crétin par une presse qui du matin au soir vous bourre le crâne, vous êtes vacciné pour la suite. Discréditer le système médiatique dans l’esprit des gens est un objectif central de la lutte. [souligné par l’OPIAM]
Vous utilisez les attaques contre le système médiatique pour politiser les gens…
Oui, voilà, c’est du judo ! Tout le temps. Mais surtout, j’utilise la propre énergie du système médiatique. Quand ils se déchaînent contre moi, sur 100 personnes, vous en avez 60 qui s’en foutent, mais vous en avez 4, 5, 6 qui se disent « Mais qu’est-ce qu’il leur a fait pour qu’ils lui cognent dessus comme ça ?« . Par exemple, la bataille sur Robespierre, qu’on m’avait donnée comme perdante au début, en me disant « Tu vas être assimilé à la guillotine. » Oui, je me suis tapé une période de « guillotine », puis après a commencé le reflux, avec des gens qui se sont dit : « Mais attendez, Robespierre, c’était dans le patrimoine de la gauche avant. Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?« . Et d’autres se disaient : « Mais pourquoi choisit-il Robespierre ? » Ils se renseignaient. J’ai tenu il n’y a pas longtemps une rencontre avec un groupe d' »historiens révoltés », qui ont pour la plupart une trentaine d’années. Ils sont tous robespierristes ! Ils ont découvert ça tout seul ! Et ils se sont dit : « Enfin, il y en a un qui tient bon ! Qui va du côté de ce que nous sommes, notre identité politique. » Sur ce sujet comme sur d’autres, j’ai donc déclenché des débats ! […]
Une affaire assez « fondatrice en termes de communication. N’était-elle pas préméditée ? (Dans une vidéo diffusée sur Internet, Jean-Luc Mélenchon avait qualifié de « petite cervelle » le jeune journaliste qui l’interviewait – NDLR) [à ce sujet, voir l’analyse du Mexicain² et l’entretien entre Mélenchon et des apprentis journalistes du Centre de Formation des Journalistes de Paris³]
[…] J’ai compris comment combattre. Je leur donne à manger quelque chose avec lequel ils pensent pouvoir me nuire. Ils se jettent dessus. Cela ne sert à rien de jouer avec eux les rapports intelligents… Ce qu’il faut, c’est leur donner du sang, ils aiment ça ! Donc on leur donne n’importe quoi, du moment que ça saigne, du moment que ça leur permet de réduire la question à ce qu’elle a de plus primaire : « Ah, c’est un problème de personnes« . Ils adorent ça : « Le Mélenchon recommence contre Le Pen« , « Il tire à boulets rouges. » Et ainsi de suite. Ce sont des marionnettes et j’ai trouvé comment tirer leurs fils.
Mais vous n’avez pas l’impression qu’en donnant du sang, vous donnez de l’essence au système, à la politique spectacle ?
Je m’en moque complètement. : ça me sert ! Trois cas se présentent hors celui des indifférents qui sont les plus nombreux. Ceux qui me donnent raison et me reconnaissent alors comme leur porte-parole. Ceux que je révulse de toute façon et qui en le criant très fort vont élargir le cercle de ceux qui vont tendre l’oreille. Ceux qui vont faire pression sur leurs porte-paroles habituels pour qu’ils disent comme moi.
En procédant de cette manière, vous faites bouger tout le système.
Bien sûr, je préférerais avoir des interviews décentes. Je vais vous raconter quand se sont arrêtées pour moi les interviews au Monde. On est en pleine campagne présidentielle, la semaine du premier tour. Tout le monde a eu sa grande interview, sauf moi. Le Monde rappelle et me dit : « C’est quel jour ?« . Mon équipe répond « Quand vous voulez mais il y a trois conditions. Premièrement, la moitié des questions, au moins, doivent porter sur la droite. Deuxièmement, la photo doit être respectueuse de monsieur Mélenchon. Troisièmement, le titre doit avoir un rapport avec ce qu’il dit sur la droite. » Réponse écrite de Patrick Jarreau : « Le Monde ne prend pas ce type d’engagements. » J’ai donc dit à Patrick : « Je ne participe pas à ce genre d’interview. » Car je savais ce qu’ils allaient faire. La dernière semaine, leur jeu a été de me couvrir de boue. Jusqu’à publier une photo de moi en représentation officielle avec Bachar el-Assad ! Sans contexte, sans lieu, alors que j’étais en service commandé comme ministre [ndr : c’est en fait le journal gratuit Metro qui fait ça4]. Rien ne les a arrêtés. Tous les coups étaient permis pour empêcher que je rattrape Hollande ou que je sois à un niveau tel que ce dernier soit obligé de négocier.
Car, il ne faut pas l’oublier, ce n’est pas une affaire personnelle. C’est une affaire dans laquelle les rapports de force pour l’État et l’économie sont engagés. Si j’avais fait 18% ou 20%, ce n’est pas 11%. Si j’avais eu 18%, François Hollande se serait assis avec nous à une table, et il aurait pris son stylo pour réécrire son programme. À 11%, je comprends que je n’obtiendrai que des miettes, et que je serai obligé de le soutenir. J’ai appelé à voter pour lui, et cela sans conditions. Lui, il s’est frotté les mains avec ses petits copains. Il m’a juste promis de ne pas franchir deux lignes rouges. Sauf que nous sommes libres ! Il ne pouvait pas gagner sans nous. La chaise que nous avons avancée, nous pouvons la retirer.
C’était quoi, ces promesses ?
Vous le saurez le moment venu, s’il les trahit aussi. Parce qu’il m’a déjà trahi sur d’autres qu’il m’a faites ensuite, comme l’amnistie sociale. Mais là, ce sera la guerre totale s’il franchit la frontière. […]
Vous dites que la propriété des médias, ce n’est pas le sujet. Mais vous notez dans le même temps que la plupart des médias ont changé de propriétaires entre 1990 et 2010. Vous ne pensez pas que ça peut avoir une incidence sur la qualité du travail journalistique ? Sur la capacité à faire des enquêtes par exemple. Pourquoi, quand vous êtes dans les médias, et les médias audiovisuels, vous ne décryptez pas au grand public qui est propriétaire de tel média et quelles conséquences cela peut avoir ?
Non non, ce serait servir la soupe à tous les amis du système.
C’est-à-dire ?
C’est trop facile. « Le patron du média est en cause mais pas nous, pauvres créatures de journalistes, non. » Écoutez-moi et vous allez comprendre. D’abord, je ne suis pas un commentateur, je suis un acteur. Le but est de provoquer et d’organiser dans notre pays une révolution citoyenne. Elle aura lieu aussi dans les médias et cela passera par la subversion. C’est-à-dire qu’il faut que les journalistes révolutionnent leurs propres médias de l’intérieur. Contre leur patron mais d’abord contre leur chefferie ! Donc, mon discours s’adresse d’abord à eux.
Mais ça ne passe pas aussi par une certaine « pédagogie » ?
Cela ne sert à rien. Tout le monde le sait.
Mais non, tout le monde ne le sait pas.
Mais si !
Donc, pour vous, que Le Figaro appartienne à Serge Dassault, ce n’est pas une question politique ?
Ça, ce sont des méthodes de journalistes ! Vous voulez faire la réponse à ma place ?
C’est-à-dire ?
Je suis en train de vous répondre et vous essayez de me faire dire que « Non, ce n’est pas un problème que Dassault soit le patron du Figaro… » C’est pour le titre ? Pour le buzz ? À ce moment le problème ce n’est pas Dassault, c’est vous et votre méthode !
Bah je vous relance !
Non, vous n’avez rien entendu, ça ne vous intéresse pas. La critique sociale, la condition de journaliste, c’est le cœur de la question, vous ne m’avez pas posé une seule question sur ce sujet. Cela ne vous intéresse pas. […]
Que Vincent Bolloré puisse contrôler Vivendi, cela ne vous inquiète pas ?
Ce n’est pas le plus grave à cette heure ! Allez, faites la liste et sortez toutes vos tartes à la crèmes habituelles sur les médias.
Ce n’est pas une tarte à la crème…
Non, je mets en cause la responsabilité individuelle, morale et civique des gens qui acceptent comme des larbins de répéter du matin au soir des bobards auxquels ils ne croient pas.
Les conditions de production des médias ont été aggravées depuis vingt ou trente ans au sein des médias. Je vous parle de ça.
C’est ce que j’entends tout le temps et que je ne retrouve jamais dans les médias. C’est pour ça que vous me voyez si tendu. Chaque fois qu’on aborde la question des médias, chaque fois, j’aborde la question des conditions de travail, de la précarité, des sous-effectifs mais il n’y a jamais une ligne sur le sujet. Juste dénoncer le patron pour amnistier les larbins qui servent sa soupe.
Alors, on en parle.
Il y a trop de bonne conscience dans la dénonciation des patrons de presse. C’est ce qui permet aux chefferies de rédaction de se donner bonne conscience et de collaborer comme des lâches qu’ils sont. C’est ma réponse, voilà, vous l’avez.
Le problème, c’est la hiérarchie…
Oui, comment est-elle recrutée ? Pourquoi elle consent au panurgisme ? Il n’y a pas de révolution possible si ces gens-là ne craquent pas. Cela doit craquer dans les chefferies.
Dans le programme du Front de gauche, il y a une phrase sur la concentration des médias. Vous proposez aussi la création d’une conseil national des médias et l’amélioration des conditions de travail des journalistes.
[…] Les journalistes sont des travailleurs et il faut qu’ils acceptent de s’enlever la peau de saucisse du prestige social qui les aveugle. Ce prestige qui amène la petite de 20 ans qui vient me voir dans mon bureau de ministre à me demander « Est-ce que vous n’avez pas l’impression d’handicaper l’avenir social des gens que vous poussez dans l’enseignement professionnel ?« . Et moi, je lui sors une fiche et je lui dis « Regardez, celui-là, il est Meilleur Ouvrier de France, chef de production dans une charcuterie. Bof, qu’est-ce qu’il gagne ? 18 000 francs par mois. Et vous, vous n’avez pas ça mademoiselle, vous qui avez un brillant avenir devant vous ?« . Et ben non, elle ne les avait pas. Elle gagnait 8 300 francs de l’époque sauf que, dans sa famille… Je lui demande : « Vous connaissez une charcuterie où on achète le repas du dimanche ?« . Elle répond « oui« . Ça veut dire qu’elle fait partie de ces gens qui vont acheter le repas du dimanche dans une charcuterie de luxe. Donc je lui dis « Vos parents sont ingénieurs !« , elle répond « Non, architectes !« . Vous comprenez ? La vie est pistée socialement. Eh bien cette jeune femme, elle ne pourrait pas dire le dimanche, au repas de famille d’architecte, qu’elle est chef de production dans une charcuterie, mais être journaliste crevarde, précaire à France-Soir, ça elle peut, parce que c’est prestigieux. C’est du Bourdieu ce que je vous raconte.
Complètement !
Donc, ce n’est pas par les patrons qu’il faut les attraper. Il faut leur dire : « Regarde-toi dans la glace, tu gagnes combien ? T’es syndiqué ? Non ! Alors de quoi tu te plains ? Comment viens-tu donner des leçons de courage dans tes éditos et tes articles ? Qu’est-ce que tu fais toi, pour sauver ta peau ? T’as pas une femme ? T’as pas des gosses ? T’es quoi, toi ? T’es un ange désincarné qui incarne la vérité comme un prêtre qui serait tombé du ciel ? » Il faut fracasser, percuter, secouer de toutes nos forces l’autosatisfaction culturelle. La collaboration, elle est là, c’est le cœur du système, c’est le raisonnement de ces gens-là. Il faut le faire exploser. Et vous verriez le nombre de journalistes, les petits, les sans-grade, parmi ceux qui vont à l’école et viennent me dire « Vous avez raison de continuer, mettez-leur en plein la gueule !« . Ces gens-là m’aideront, le moment venu ! Nous révolutionnerons les médias. Tous, pas un, tous, y compris les médias privés. On fera voter les lecteurs, on fera voter les rédacteurs, il y aura des comités de rédaction dans tous les médias. À ce moment, ils nous accuseront d’attenter à la liberté, comme ils le font dans les pays d’Amérique du Sud. Je peux écrire toute la pièce de la première à la dernière tirade. Les puissants ne se renouvellent pas beaucoup dans leurs méthodes !
Vous êtes très optimiste sur la capacité de résistance des journalistes…
Oui, je les considère comme des intellectuels, ce qu’ils sont pour la plupart. Et ils ont une conscience. Moi, je veux qu’ils soient mal dans leur conscience, je veux qu’ils se posent des questions, qu’ils m’aident moi, qu’ils m’aident un peu. Parce que si vous ne résistez pas… La révolution, elle ne se fait pas par des prophètes, elle se fait par des masses qui se mettent en mouvement. Il faut travailler le milieu intellectuel du journalisme comme tous les autres milieux. Il ne faut pas avoir peur, il faut s’adresser à des êtres humains. Les conscientiser par le social, qui est le seul biais par lequel on les ramène au réel. Ces gens-là sont la moitié du temps perdus dans les nuages, donc, il faut leur dire « Dis donc, à propos, tu te rappelles, il est de combien ton loyer ?« .
Vous avez lu le sociologue Accardo ?
Alain Accardo nous a aidés à transformer notre perception, avec son livre Le petit-bourgeois gentilhomme. La moyennisation de la société. C’est le premier qui décrivait le lien entre la psychologie de la classe moyenne et les conditions d’évolution de la société. […]
Au-delà des différences politiques considérables que vous avez avec Marine Le Pen, je peux vous dire, pour avoir eu l’occasion de vous interviewer tous les deux, que vous avez aussi un comportement différent avec les journalistes…
Je vais vous dire la différence. Moi, j’essaye de les convaincre.
Voilà, c’est ça ! Vous voulez toujours les convaincre et ça vous énerve qu’ils ne soient pas convaincus. Mais elle, elle veut juste balancer son message, point.
Mais on ne fait pas la même chose tous les deux. J’ai compris que vous ne vouliez pas nous comparer mais j’essaye de vous montrer que ça a une conséquence. Pour vous, la politique, c’est de la vente, on vend une savonnette, une banane, un balai. Non ! Ma méthode correspond à mes objectifs. Un par un, je secoue ceux que j’ai en face de moi. Car mon but, c’est de les convaincre ! Moi, j’ai du respect pour les autres, je ne vous considère pas comme une machine, un pion ou un rouage. Je sais que vous êtes un rouage, mais en perturbant à fond le rouage, je vais essayer de vous ramener à votre condition humaine. […]
***
Sur la question des médias, voir aussi cet entretien entre Mélenchon et des blogueurs :
Voir aussi cette rencontre avec des étudiants en journalisme au Centre de Formation des Journalistes de Paris :
Et cette autre rencontre entre J.-L. Mélenchon et des blogueurs :
***
1. « Diabolisation de Mélenchon et nombrilisme journalistique : les errements du magazine du Monde« ,
2. « Genèse d’un buzz : le méchant Mélenchon face au pauvre petit étudiant en journalisme », 06.04.2011.
3. Le vendredi 9 avril 2010, J.-L. Mélenchon était invité au CFJ-CFPJ à la suite du « buzz » médiatique créé par son altercation avec un étudiant en journalisme. Il s’y expliqua longuement sur ses rapports avec les journalistes, sa vision d’une profession précarisée et la bataille qu’il entend mener contre toutes les cléricatures, y compris celle des médias dominants.
4. « Fin de campagne à couteaux tirés, Gilles Daniel, Metro, 19-04-2012 ; modifié le 20-04-2012.
C’est vrai, on finit par ne plus reconnaître Mélenchon quand il est photographié normalement.
Il serait intéressant pour vos lecteurs de donner la reponse de Libération sur Louis XVI http://www.liberation.fr/politiques/2013/10/02/liberation-repond-a-jean-luc-melenchon_936422
Vous avez raison. Europe1 écrit, dans « Mélenchon assure avoir réécrit intégralement son interview dans Libération, les journalistes lui répondent » :
« – Un texte effectivement à trou
Oui, Libération assume. L’interview à relire envoyée jeudi 29 novembre au matin comportait bien une mention « A vous de répondre en 800 signes » face à la question « Mais c’est quoi cet écosocialisme ? ».
Explications de Libération : « Ce matin là, Jean-Luc Mélenchon n’était pas très en forme. Il nous a fait un tunnel de 45 minutes. Un cours magistral impubliable en l’état car il n’aurait pas été compréhensible pour le lecteur. »
Évidemment puisque Libération prend ses lecteurs pour des abrutis (contrairement à la revue Charles). Et en les abrutissant, ils le deviennent.
Europe1 commente : « Pour Jean-Luc Mélenchon, c’est plutôt la preuve que les journalistes « n’avaient rien décrypté de l’interview réelle » et qu’ils « ne s’étaient intéressés qu’à tout le reste ».
Entre ce monument d’impartialité qu’est Europe1 et cet everest d’objectivité qu’est Libération, mon cœur balance.
Pourquoi le monsieur audiovisuel du FDG n’informe-t-il pas JLM de ce qu’il sait pertinament
(lui dans sa posture de syndicaliste);
http://www.dailymotion.com/video/x8ugil_jean-francois-tealdi-sur-la-video-off-de-sarkozy_news
Et personne pour informer JLM de ceci?
http://www.acrimed.org/article2715.html
la revue Charles a tendu des codes de réflexion que JLM ne saisit pas tellement il croit qu’il a raison.
-En évoquant la stratégie médias de MLP;
« Vous voulez toujours les convaincre et ça vous énerve qu’ils ne soient pas convaincus. Mais elle, elle veut juste balancer son message, point. »
JLM répond;
« (…), je secoue ceux que j’ai en face de moi. Car mon but, c’est de les convaincre »(les journalistes).
Outre la prétention de l’entreprise on peut remarquer que MLP réussit mieux à convaincre les électeurs.C’est ce qui compte pour l’instant.
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» Pourquoi, quand vous êtes dans les médias, et les médias audiovisuels, vous ne décryptez pas au grand public qui est propriétaire de tel média et quelles conséquences cela peut avoir ?
Non non, ce serait servir la soupe à tous les amis du système. »
C’est pourtant la bonne manière de conscientiser les électeurs.Savoir que les journalistes dépendent des financiers comme eux dépendent de leur employeurs leur ferait comprendre facilement que les » infos » ne sont plus que de la com’ au profit des intérêts du CAC40.
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« Il y a trop de bonne conscience dans la dénonciation des patrons de presse. C’est ce qui permet aux chefferies de rédaction de se donner bonne conscience et de collaborer comme des lâches qu’ils sont. »
Voir les deux liens que je donne ci-dessus.
Dans ses vœux à la presse en janvier 2013,JLM est fort bien informé des pressions(menaces)que subissent les journalistes grecs mais pas que les confrères français vivent la même chose. Etonnant,non?
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JLM prone la subversion des « soutiers » contre leur « chefferie »
C’est mal connaitre l’esprit d’équipe qui soude les rédactions.Les motions de défiance,(‘et les démissions) contre les PDG n’ont pas manquées ses dernières années.
Si dans la lumière des projecteurs les présentateurs des JT paraissent des stars vus de l’extérieur,à l’intérieur ,il y a un grand respect des uns et des autres.Pujadas sait très bien que sans tous ceux qui l’entourent(journalistes et techniciens) il n’est rien.
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Enfin il s’agit pour nous de rassembler et de gagner les élections.Ce n’est pas en entrant dans le logiciel de l’extrème-droite(vilipender une catégorie socio-professionnelle )que l’on peut atteindre ce but.
nota;
Si vous voulez rebondir,OPIAM,soyez sympa,lisez totalement ce que j’écris avant.Je vous en remercie d’avance.
Boing, boing. Mélenchon ne « vilipende » pas une catégorie socio-professionnelle. Vous l’aurez mal lu. Il sait très bien, et le dit, que ce genre de catégories n’ont aucun sens, n’existent pas. De même qu’il n’y a pas « les » politiques, il n’y a pas « les » journalistes, mais des comportements de tel et tel journaliste. Voyez l’entretien avec les étudiants du CFJ. Cela dit, c’est un droit et même un devoir de critiquer les tares du journalisme. Cela n’appartient pas au « logiciel » de l’extrême droite, comme vous dites.
donc vous n’avez pas lu les liens proposés à 17h55 et 20h 55 le 5 janvier!
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