Jacques Julliard est le journaliste qui avait comparé, le 7 avril 2012, les rassemblements du Front de gauche à des rassemblements nazis. « Les enthousiasmes collectifs organisés, tels qu’on les pratiquait dans l’Allemagne nazie et la Russie soviétique, très peu pour moi », écrivait-il dans un éditorial de Marianne¹. C’est dans ce même éditorial qu’il écrivait « Je suis pour la raison en politique ». Cet éditorial, le journaliste a pourtant eu le temps de l’écrire, donc a pu réfléchir à ce qu’il écrivait, a pu peser le poids de ses mots.
Jacques Julliard, c’est le journaliste qui a dit que le titre de l’un des livres de Jean-Luc Mélenchon, Qu’ils s’en aillent tous !, est « exactement la même chose que ce que disait Poujade »² ; c’est le journaliste qui dénonce régulièrement le populisme de Mélenchon, mais est volontiers lui-même populiste et poujadiste. Le 6 octobre 2012 encore, c’est bien lui qui a écrit dans son éditorial qu’ « il en va ainsi des partis politiques comme de certaines draperies ou de certains vêtements : ils font encore illusion dans la pénombre où on les conserve, mais l’exposition au grand jour suffit à révéler combien ils sont décatis. » Cette généralisation est populiste, démagogique, poujadiste. Par ces nombreuses assimilations d’un homme de gauche à l’extrême droite – et en particulier à la pire de toutes –, ce journaliste a donc en commun avec les militants du Front national l’idée contenue dans leur tract déguisant Mélenchon en Hitler devant un camp de concentration.
Extrême gauche = extrême droite
Dans son éditorial de Marianne du 28 décembre 2012 au 4 janvier 2013, le journaliste s’insurge « contre la profession politique ». Il commence par le vieux refrain populiste « tous menteurs tous corrompus tous démagos tous populistes », puis dénonce le populisme persistant « à l’extrême gauche et surtout à l’extrême droite ». Enfin il finit par dire exactement la même chose que le populiste Mélenchon : il faut que le peuple prenne le pouvoir, il faut faire des assemblées constituantes.
Mais entre ces deux populistes, l’un dénonce à longueur d’éditoriaux la « corruption », « la dégradation des mœurs politiques », les « mensonges », les « trucages », se livre à des généralités telles que comparer les élections à un cirque, puis de temps à autre redevient républicain – tandis que l’autre ne critique jamais sans proposer des solutions concrètes ni ne fait de telles ineptes généralités.
Voici l’éditorial du journaliste :
« Quel est l’événement politique le plus important de l’année écoulée ? On voudrait pouvoir écrire que c’est l’élection, le 6 mai dernier, de François Hollande à la présidence de la République. Ce sera peut-être le cas, mais il est encore trop tôt pour le dire. En politique, on ne sait jamais à l’avance de quoi hier sera fait.
En attendant, ce qui domine l’année, c’est la dégradation inouïe de nos mœurs politiques. Mensonges, truquages, corruption ont fait notre quotidien. Marianne s’en faisait l’écho récemment, et Michel Rocard, à sa manière franche et désabusée, n’y allait pas par quatre chemins, affirmant que le mensonge fait, en somme, partie intégrante de notre vie politique.
Voyez, par exemple, le jeu pervers auquel se livrent l’électeur et le candidat à chaque échéance importante. Le premier fait monter les enchères au maximum avant de se décider, tandis que le second finit par laisser échapper des promesses qu’il sait ne pas pouvoir tenir : c’est le prix à payer pour l’élection. Une fois celle-là acquise, nouveau changement de rôle : l’électeur, le crayon à la main, coche les cases des programmes déjà remplies et tempête en constatant les vides. Ou bien on agite de purs symboles, tels la célèbre tranche d’impôt à 75 % pour les revenus de plus de 1 million d’euros, effet électoral énorme, incidence financière quasi nulle, effet Depardieu garanti. Quelle entreprise, quelle association, quelle institution tendrait longtemps à pareil jeu de bonneteau ? Aussi longtemps que la démocratie électorale reposera sur des promesses, et non sur un contrat entre l’électeur et l’élu, elle ne sera rien d’autre qu’un jeu infantilisant, digne des monarchies de bas empire.
Mais il y a encore plus grave : il y a l’imposture permanente du microcosme et la scène politique transformée en caverne d’Ali Baba. Les derniers dirigeants des deux partis les plus importants de ce pays, le PS à gauche, l’UMP à droite, doivent leurs fauteuils à des impostures, à des truquages. Le scrutin de Reims (novembre 2008) qui vit l’«élection» de Martine Aubry au détriment de Ségolène Royal fut brigandage, personne, aujourd’hui, n’en doute ; cependant que c’est un authentique champion de la grande truanderie, Jean-François Copé, qui, pendant la plus grande partie de l’année 2013, va présider aux destinées de l’UMP. Et que dire de ces séances surréalistes, dignes du Parrain, de Francis Ford Coppola, où les représentants des principales écuries présidentielles, désignés par antiphrase du nom de «poètes», se partagent les places, le pistolet sur la table, au comité directeur du Parti socialiste ? Que dire de ce même parti, à Marseille, où des notables aux prises avec la justice continuent de faire la loi et décident des majorités ? Nous sommes tellement habitués au fonctionnement mafieux de nos organisations politiques que nous ne songeons même plus à nous en scandaliser. Ce sont pourtant ces officines vérolées qui donnent naissance aux divers pouvoirs de la République, ceux qui font la loi, lèvent l’impôt, administrent la justice, dispensent l’instruction et la morale, font régner l’ordre et disposent de la police. A défaut d’autre raison, une telle indignité à la tête de l’Etat suffirait à expliquer la persistance des populismes, à l’extrême gauche et surtout à l’extrême droite.
Les remèdes ? Ils existent et ils sont simples, mais, comme leur adoption dépend exclusivement de ceux auxquels ils sont censés s’appliquer, il n’y a aucune chance qu’ils soient mis en œuvre.
C’est pourquoi la mesure la plus simple et la plus élémentaire, à savoir l’interdiction stricte de tout cumul des mandats, ne sera pas votée : je tiens le pari. Mais, si l’on veut aller plus loin, si l’on veut lutter efficacement contre cette professionnalisation de la vie politique qui est incompatible avec la démocratie, il faut empêcher que quelques milliers de personnes vivent, leur vie durant, de la politique. Jacques Chirac a passé son existence entière dans les palais de la République ; jamais il n’en est sorti ; jamais il n’a exercé une profession, jamais de sa vie il n’a payé un repas de sa bourse. C’est un exemple typique ; mais la plupart de nos hommes et de nos femmes politiques vivent sur le modèle breveté Chirac.
Il est pourtant une mesure qui permettrait de mettre fin à cette situation anormale : l’interdiction de se présenter deux fois de suite à la même fonction. A ceux qui rétorquent rituellement qu’une telle règle priverait les assemblées de l’«expérience» indispensable, je réponds : c’est une blague. Les seules assemblées qui ont réformé la France et ont établi les lois que nous respectons étaient faites d’hommes neufs, et «inexpérimentés» : témoins, la Constituante de 1789, l’Assemblée nationale de 1848, la Commune de Paris, les assemblées de 1945-1946. Car, si l’élection est l’honneur de la démocratie, la réélection est son fléau. Le souci de la réélection est à la base de toutes les lâchetés, de toutes les faiblesses, de toutes les capitulations. Vous voulez la démocratie, dites-vous, vous voulez l’égalité ? Alors, organisez la rotation des citoyens au pouvoir ! Pour que la vie politique soit quelque chose pour tous, il faut qu’elle cesse d’être tout pour quelques-uns. »
Jacques Julliard est « pour la raison en politique ».
Notes :
1. « Mélenchon peut-il faire perdre Hollande ? », éditorial de Marianne, le 7 avril 2012.
2. Voir le débat entre Mélenchon et Julliard organisé par Libération : « Le peuple a-t-il toujours raison ? »
C est une honte
Bravo, la démosntration était à faire, et je ne voudrais pas êtr ele seul à m’y coller régulièrement; De ‘laide est donc la bienvenue sur ce point, d’autant plusq ued ans une certaine gauche, ce type d’assimilation honteuse est une facilité…
tu parles d’un journaliste, dire des inepties ne le grandit pas bien au contraire, mais en effet il manque pas d’air ce mec, il représente vraiment le type parfait de l’individu sulbalterne bien manipulable et certainement trés fier de ce qu’il propage au gré de son inspiration pour plaire et se plaire, il doit être applaudit par cette caste d’êtres déshumanisés qui n’ont que leur image et leur rang social comme soucis. C’est triste et affligeant..!
Moi, j’aime bien Julliard, je suis abonnée a Marianne depuis plusieurs années et chaque semaine je lis avec plasir ses éditoriaux ainsi que les billets de Zafran, dion, konopnicki etc, n’en déplaise à votre observatoire, qui bien souvent n’observe d’un seul bout de la lorgnette.