Dans sa rubrique « Express Yourself », la rédaction de L’Express a publié le 14 juin un article intitulé « Le Pen et Mélenchon, différents mais semblables”. Une étoile dans un carré jaune, juste à côté du titre, mentionne que l’article a été « vérifié et mis en Une », et précise que « la rédaction a mis en Une cet article et [que] ses infos sont vérifiées ».
Rendons-nous maintenant dans la rubrique « Qu’est-ce qu’ Express Yourself ?”. Nous pouvons y lire que « Express Yourself, c’est votre nouvel espace d’expression, animé par la rédaction », que « Express Yourself, c’est un espace de partage et de débat. Les meilleures contributions sont vérifiées, éditées, illustrées, retitrées par les journalistes¹ pour figurer sur la Une du site, dans les newsletters, etc. » et que « la pub, la propagande, la diffamation etc. n’ont pas leur place sur LEXPRESS.fr. »
Voyons maintenant ce que contient l’ « article » – c’est le nom que la rédaction de L’Express donne à la « contribution » qu’elle a élue. L’auteur introduit sa profonde pensée journalistique par cette question :
« Le Pen et Mélenchon, même combat ? »
… à laquelle il (se faisant le porte-parole d’un certain « on ») répond que…
« A priori, on a envie de répondre non, tant la
différence entre les deux ex-candidats est grande »
Le suspense est terrible… est-ce qu’en fait la différence ne serait pas si grande que ça, une fois levé le voile des apparences ? Et surtout – suspense ! –, qu’est-ce que On a envie de répondre, a posteriori ? On a envie de répondre que :
« Si les différences sont fortes, les points communs
sont donc peut-être plus nombreux qu’il n’y paraît. »
Et, se croyant peut-être original, on dénonce ensuite « les partis extrêmes » – poubelle bien pratique des gens de droite, destinée à recevoir à la fois les fascistes et les antifascistes, qui sont exactement la même chose (et le jugement « extrême » en dit long sur ce que les gens qui l’emploient pensent de la retraite à 60 ans – extrême ! – ; de la limitation des revenus à 1000 euros par jour – extrême cruauté ! – ; de l’augmentation du SMIC à 1700 euros – extrême, soyons réalistes ! – ; de la limitation des écarts de salaires de 1 à 20 – un atroce supplice !). Or l’assimilation du Front de gauche au Front National, de Mélenchon à Le Pen, de la gauche et de l’extrême gauche au fascisme, est un procédé très courant chez les journalistes incultes.
C’est ce qu’avait déjà fait Michel Denisot, sur le plateau du Grand Journal, présentant Le Pen et Mélenchon comme étant « deux jeunes figures de deux camps que tout oppose, quoique”. Ce à quoi l’invitée, Clémentine Autain, avait répondu : « Quoique ? ». Le journaliste, sérieux, éthique, respectueux de la Charte d’éthique professionnelle des journalistes, fit alors cette subtile remarque, après un long travail d’investigation : « Ben oui, oui, oui, il y a des points communs » : « le mot front déjà », puis le fait que Le Pen et Mélenchon soient « deux leaders tribuns et champions de la formule taxés souvent de populisme² », « qui ont la même cible : l’anti-système ».
C’est aussi ce qu’avaient fait ces deux journalistes, militantes au Parti socialiste, dénoncant « la tentation souverainiste » et mettant, une fois de plus, Le Pen et Mélenchon sur le même plan.
C’est aussi ce qu’a fait récemment Le Nouvel Observateur, écrivant que « Jean-Luc Mélenchon, Nicolas Dupont-Aignan et Marine Le Pen ont au moins un point commun : ils remettent tous trois en cause le fonctionnement de la BCE ». Et ils ont tous trois le même nombre de jambes ?
C’est aussi ce qu’avait fait Marianne, mettant en couverture un montage photographique présentant Marine Le Pen assise sur un canapé à côté de Jean-Luc Mélenchon et lui passant un bras derrière la tête, comme pour former un couple.
C’est aussi ce qu’avait fait l’A.F.P. sournoisement, ou par habitude de journaliste stupide, ou un peu des deux.
La liste est trop longue, c’est pourquoi il est utile de faire connaître ce zapping sur le thème Mélenchon = Le Pen, une compilation des pires bassesses des journalistes, afin que les perroquets répétant bêtement leur parole sacrée, se regardent dans un miroir, et qu’ils aient honte d’être des perroquets.
Au fil de la campagne électorale de 2012, les journalistes ayant épuisé l’équation « Mélenchon = Le Pen » ont tenté par tous les moyens de la faire revivre sous une autre forme, c’est pourquoi depuis quelques mois ils ont trouvé une astuce : dire que Le Pen et Mélenchon s’opposent en tout point, mais qu’ils ont tout de même des points communs. Voici la brillante conclusion de l’auteur :
« Que Le Pen et Mélenchon aient des idées différentes ne fait aucun doute. Que l’objet de leur mépris et de leurs invectives soit différents non plus. Mais au fond, cela importe peu, car ils représentent l’un et l’autre une menace pour la démocratie. Puissions-nous ne jamais avoir à le vérifier. »
Enfin revenons brièvement sur ce que stipule la charte de modération de L’Express :
« La pub, la propagande, la diffamation etc.
n’ont pas leur place sur LEXPRESS.fr. »
Non, bien sûr, quand l’auteur écrit que « Jean-Luc Mélenchon refuse l’appellation de dictature en référence à Cuba » en tronquant volontairement sa phrase, qui était en vérité « Cuba n’est pas une dictature… mais n’est certainement pas une démocratie au sens où on l’entend nous, c’est tout à fait évident”, ce n’est pas de la propagande. Phrase que Mélenchon a aussitôt développée, précisant « le contexte » de l’Amérique du sud, dénonçant le chantage de nos si grandes démocraties qui donnent des leçons au monde entier sans se regarder elles-mêmes, l’embargo du gouvernement américain contre Cuba, les cinq otages de Miami, et se disant prêt à discuter de la nature du régime politique de Cuba le jour où les journalistes évoqueront ces sujets.
Non, bien sûr, quand l’auteur compare Mélenchon – républicain socialiste, internationaliste, universaliste, antiraciste et féministe – à Le Pen – antirépublicaine, contre-révolutionnaire, raciste, nationaliste, antiféministe, xénophobe, etc., – ce n’est pas de la diffamation.
Et non, évidemment, quand l’auteur affirme que « Marine Le Pen, à la différence de son homologue du Front de Gauche, ne soutient pas de dictature », alors que Marine Le Pen soutient la dictature syrienne et, plus globalement, les dictatures arabes, ce n’est pas de la propagande.
Notes de la rédaction :
1. Souligné par l’O.P.I.A.M.
2. Par qui ? Par Denisot lui-même par exemple, demandant une fois à Mélenchon comment définir son populisme : « Gauche populiste, ça vous va ? » (voir dans le zapping sur le populisme)
Pardonnez-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font.
Je parle du contributeur. Pas des journalistes. Les journalistes savent parfaitement ce qu’ils font. Ils ont contribué à former l’opinion du contributeur par leurs approximations répétées, leurs jugements de mauvaise foi, et leur prétendue « neutralité » militante. Les consommateurs d’articles, puisque c’est à cela que le citoyen est finalement réduit, ne vont pas vérifier systématiquement ce qu’ils entendent ou lisent dans les journaux, à la radio, à la télévision, et ils se croient informés.
Bien sûr, le contributeur peut lui aussi être militant. Mais c’e sont les médias qui en définitive, choisissent ce qu’ils diffusent, et ils adorent diffuser comme libre opinion le résultat de leur propagande.
Malheureusement, une fois son opinion formée, le quidam ordinaire, en général, préfèrera des mensonges allant dans le sens de son préjugé à des vérités qui l’affaiblissent. Pas une raison pour renoncer à rétablir la vérité, car s’il ne rompt pas la discussion dès qu’il s’aperçoit qu’elle va le mener à une révision de ses préjugés, le quidam ordinaire change parfois d’opinion. Il ne devient pas nécessairement un électeur, mais il arrête de croire à la propagande, de la répandre, et va parfois jusqu’à la combattre, par simple honnêteté.