Le diagnostic du bon docteur Alliès
Le 16 mars, le journaliste Stéphane Alliès donnait un entretien au journal quotidien gratuit 20 minutes. À une des questions de lecteurs sélectionnées par les rédacteurs de 20 minutes (« Pourquoi Mélenchon est-il si virulent envers les journalistes ? »), voici ce qu’il répondit :
« Il y a une part de tactique dans son ressentiment journalistique. En « tapant dessus », il incite les grands médias à l’inviter pour débattre avec lui. Il y a aussi une part psychanalytique¹, car l’ancien journaliste pigiste Mélenchon n’a jamais vraiment digéré de ne pas être embauché par La croix du Jura, alors qu’il avait 25 ans et déjà un enfant à charge. »
Pour comprendre pourquoi ces propos – qui ne sont ni outrageants ni ouvertement hostiles à Mélenchon – doivent être critiqués, il faut garder à l’esprit qu’ils sont fréquemment tenus par Alliès, qui avait déjà copieusement psychologisé Mélenchon dans une biographie parue en janvier. Certains de ses confrères, qui en sont coutumiers, vont parfois, eux, jusqu’à l’outrage (voir la deuxième partie).
Pour affirmer, donc, qu’ “il y a une part psychanalytique » dans le « ressentiment journalistique » de M. Mélenchon, M. Alliès a-t-il la double qualification de journaliste et de psychanalyste ? Supposons donc que M. Alliès soit aussi psychanalyste. Alors il aurait enfreint la loi en rendant public le diagnostic qu’il avait fait de son analysant. Car le seul cas autorisant à lever le secret professionnel est le crime mettant en péril la santé publique et l’ordre public. Or M. Mélenchon n’a pas été inculpé pour quelque crime que ce soit, à propos duquel la Justice eût pu juger bon d’informer les citoyens du diagnostic établi par le docteur Alliès. De plus, une psychanalyse suppose le « consentement éclairé » de l’analysant. Le mensonge est donc double, puisque M. Mélenchon ne s’est pas fait psychanalyser en personne par le docteur Alliès.
La psychanalyse est utile à l’analysant pour résoudre un problème personnel, pas un problème de politique, c’est-à-dire un problème public. En réduisant la critique que Mélenchon fait du système médiatique à une affaire privée, ce journaliste jette d’emblée le discrédit sur toute critique des médias. Tu critiques certains comportements, certaines méthodes médiatiques ? Tu prétends que le système médiatique est un des piliers de l’idéologie capitaliste et productiviste ? En fait c’est parce que tu veux avoir une relation sexuelle avec ta mère.
Quant au journaliste qui a signé la transcription et le commentaire de l’entretien, Cédric Garrofé, il évoque l’ « angoisse » et les « affects » personnels de Mélenchon – révélés par Stéphane Alliès. Le sous-entendu est que cette « angoisse » et ces « affects » privés guident, influencent et expliquent l’engagement public de Mélenchon. Pour apprécier le sérieux de ces deux journalistes, il est intéressant de noter que, dans son curriculum vitae, Cédric Garrofé définit lui-même ses compétences dans l’ordre suivant :
« Marketing, informatique, développement web, journalisme, communication, culture, et communication politique, mon parcours me fait disposer d’un profil compétent et polyvalent. En free-lance, j’ai œuvré aux services de plusieurs personnalités politiques de renommées nationales et internationales.²”
Stéphane Alliès est un refoulé politique
Appliquons sur ce journaliste la méthode psychanalytique qu’il a infligée à Mélenchon. Le décorticage de l’esprit de M. Alliès révèle qu’il y a une part psychanalytique dans le ressentiment politique de ce journaliste. En effet, M. Alliès n’a jamais vraiment digéré d’avoir échoué au concours de Sciences politiques. De plus, sa virulence, sa méfiance, sa suspicion à l’égard des responsables politiques sont liées à un traumatisme enfantin, à un complexe d’Œdipe refoulé et à un fantasme zoophile. Quant au culte qu’il voue à sa profession où règne l’inculture, il résulte d’un complexe d’infériorité culturelle qu’il refoule en s’auto-persuadant qu’il participe à une noble mission, au sein d’une noble profession.
L’affirmation de Alliès – en apparence insignifiante (« Il y a aussi une part psychanalytique, car l’ancien journaliste pigiste Mélenchon n’a jamais vraiment blablabla ») – recèle une dangerosité et une perversité qu’a expliquées Mélenchon dans cette réflexion très argumentée³ à propos de certains comportements de journalistes :
« Il y a une logique […], il y a un arrière plan à tout ça : toute parole est un mensonge – parce que, même si je crois que je dis la vérité, je suis en proie à ma libido, à mon inconscient et ainsi de suite donc, de toutes façons, toute parole consciente ne rend pas compte de la réalité. Déjà, il y a une culture de la suspicion sur le dit.
Alors la conclusion de ça, ce n’est pas « essayons de voir ce que Machin a dit et si c’est vrai ou pas », ça va être « qu’est-ce qu’il voulait dire ? ». Le journaliste, à ce moment-là, écrit (parce qu’on est tous des bœufs) : « Décryptage » ; « Autrement dit ». Pourquoi « autrement dit » ? Le dit suffit, non ? Non, il faut que ce soit « autrement ». « Décryptons » ; « En clair » – dit le journaliste, parce ce que dit toute personne est forcément confus, et on ne va surtout pas faire l’effort d’essayer de comprendre. « En clair » – je vous ramène ça au format prévu, c’est-à-dire : si vous voulez du poisson, la formule c’est poisson pané, coupé en rectangle, et tant que ça n’a pas la forme d’un rectangle, ce n’est pas du poisson et ce n’est pas consommable. Donc les idées, c’est pareil : il faut que ce soit dans le format qui vous permet de l’avaler.
Cette culture s’est répandue. Il y a un beau bouquin de Richard Sennett qui s’appelle Les tyrannies de l’intimité […]. Alors on dit : « Au fond, cette homme, cette femme politique (qui est nécessairement une menteuse), à quel moment va-t-il dire la vérité ? Je vais donc aller le débusquer dans sa part d’ombre. Donc pas dans ce qu’il raconte – son programme je m’en fous, puisque ce n’est qu’un tissu de mensonges – et on va gratter jusqu’à là où est son authenticité ». Parce que, au fond, l’ « authenticité » va être ce qui est intime. Et qu’est-ce qu’il y a de plus vrai que ce que vous ne voulez pas dire ? Donc la marque de la vérité, c’est le mensonge. Quand je vous aurai pris en train de mentir, c’est que je suis certain que je touche à la vérité.
Donc c’est une perversion complète, un retournement de l’idée même du dialogue, parce que le dialogue, c’est « δια » : on est deux, on se parle, vous me dites une chose, je vous réponds une autre, je peux argumenter, je peux construire. Mais si quoi que vous me disiez, je m’en fous, de toutes façons vous êtes un menteur, et je vais d’ailleurs le prouver – alors il n’y a plus de dialogue possible, donc plus de sphère publique possible. Il n’y a que les gourous qui ont leur place, ou leurs substituts : le psychanalyste, le curé, le journaliste – qui sont les trois grandes figures de la vérité révélée. Donc moi, ça doit se sentir, j’ai beaucoup de haine pour ce système-là parce qu’il rend vain les « méritocrates » comme moi. Ça ne sert à rien que je lise, que je travaille, que je me donne du mal, que j’écoute des gens. À quoi ça sert, puisqu’il y a toujours un con qui va venir en disant des bêtises énormes que personne ne va déconstruire ? […]”
Ce n’est pas la première fois que Jean-Luc Mélenchon se fait psychanalyser à distance et sans son consentement. L’an dernier, Anna Topaloff, journaliste à Marianne, avait donné la parole dans son journal au psychanalyste Jean-Pierre Winter, et se demandait si Mélenchon avait ou pas « dépassé le stade anal-sadique ». La journaliste Hélène Risser avait invité le même abruti dans son émission sur Public Sénat, « Déshabillons-les », pour qu’il révèle que Mélenchon a un traumatisme infantile et qu’il est scatophile.
Toute la débilité et les obsessions des psychanalystes sont condensées au tout début de cet entretien, dans les premiers mots de la « journaliste ». Hélène Risser fait remarquer à Jean-Luc Mélenchon qu’il emploie le mot « masochiste » pour qualifier certains journalistes – mot qu’il étend parfois à la profession toute entière. Mélenchon précise alors que « c’est de l’humour, c’est du deuxième degré, c’est pour vous mettre mal à l’aise ». Mais la journaliste ne peut pas entendre cet argument (refoulement ?), obsédée qu’elle est d’arriver là où elle veut aller : « Ouai, ouai, c’est pour nous mettre mal à l’aise mais justement, nous comme on aime bien justement analyser les mots, on a été solliciter un psychanalyste […] ».
Cette totale absence de pensée et ce refus d’entendre l’argument de Mélenchon sont caractéristiques de l’obsession des obsédés de la psychanalyse et de certains « philosophes » contemporains : même là où il n’y a rien de grave, les obsédés de la psychanalyse veulent voir quelque chose de sale, de caché, de honteux, de « refoulé », en faire une affaire. C’est ce qu’ils ont fait avec Œdipe. D’une tragédie dont le sujet est le destin, ils n’ont retenu que l’inceste, qu’ils commentent à l’infini, alors que Sophocle balaye en quelques lignes plus d’un siècle de pitoyables interprétations de malades mentaux qui souhaitent attribuer leurs propres obsessions à l’humanité toute entière, en faire des cas universels :
« Jocaste. – Faut-il se tourmenter sans trêve ? L’homme est l’esclave du hasard ; il ne peut rien prévoir à coup sûr. Le mieux est de s’en remettre à la fortune le plus qu’on peut. La menace de l’inceste ne doit pas t’effrayer : plus d’un mortel a partagé en songe le lit de sa mère. Pour qui sait surmonter ces frayeurs, comme la vie est plus simple ! »
Melansson eh ben il est messant avec les journalistes
Enfin, il est intéressant de noter ces quatre autres très originales questions, sur les douze qui ont été sélectionnées par 20 minutes :
« Comment se fait-il que M. Mélenchon est à 10% de vote dans les sondages ? Les Français ont-ils tant baissé de culture que seuls ceux qui crient, qui sont agressifs, qui profèrent des méchancetés, des grossièretés attirent leur sympathie ? »
« Pourquoi Mélenchon est-il si virulent envers les journalistes ? »
« Le Mélenchon intime est-il aussi virulent, tenace, agressif que le Mélenchon public ? »
« N’est-il pas un peu « too much » de comparer ce brave Mr Mélenchon à un tribun de la plèbe alors qu’il nous fait plus penser à Ben Hur Marcel, héros d’un film parodique du regretté Jean Yanne ? »
Le procédé (s’il est volontaire) ressemble à celui utilisé, par exemple, dans cet article de L’Express. Se servir de commentaires (ou de questions dans le cas de 20 minutes) non-argumentés d’utilisateurs d’Internet permet habilement de faire passer sa propagande anti-Mélenchon tout en ayant l’air objectif.
Dans le cas où cette sélection de questions serait vraiment représentative des préoccupations des citoyens, alors cela signifie que le bourrage de crâne a fonctionné chez les plus idiots d’entre eux. Les journalistes peuvent se détendre : les beaufs alimentent désormais eux-mêmes le refrain « Mélenchon-méchant-avec-les-journalistes, Mélenchon-méchant-avec-les-journalistes ». L’Express emploie aussi la méthode de la sélection des « meilleures contributions »4 (de ses – quoi ? contributeurs ? lecteurs ? militants ? journalistes ?). L’Express reconnaît lui-même que ces contributions « sont vérifiées, éditées, illustrées, retitrées par les journalistes pour figurer sur la Une du site, dans les newsletters, etc. » C’est par ce même moyen que le Nouvel Observateur avait sali Mélenchon, toujours sur le thème très original « Mélenchon = Le Pen ».
Notes :
1. Souligné par l’Observatoire.
2. http://fr.viadeo.com/fr/profile/cedric.garrofe
3. Extraite de cet entretien sur les méthodes des journalistes.
4. À ce sujet, voir cette critique de l’O.P.I.A.M.
Bof, moi, je fais bien plus bref. Je suis athée et comme tel je ne crois pas plus en la psychanalyse qu’en n’importe quelle autre vérité révélée… Du reste les psychanalystes se sont si souvent couverts de ridicule que cette nouvelle histoire impliquant Mélenchon ne fait que les discréditer encore.
L’insulte et la calomnie remplacent l’argumentation politique…
les collabo-journaleux à l’oeuvre, au service de la junte politico-financière; leur plus grand ennemi, qui a osé les braver: Mr Jean Luc Mélenchon, l’homme à abattre.
J’ignorais que la fonction d’un militant politique était de « braver les journalistes », je pensais naïvement que son rôle était de se fixer des objectifs pour faire évoluer le monde et de les atteindre.
Jeannot n’a pas dit que la fonction d’un militant politique est de « braver les journalistes ». Il a dit : Mélenchon a osé les braver. Il n’est nullement question de « fonction » ici.
Bonjour,
C’est intéressant, mais je m’interroge, n’est-ce pas dépenser trop de matière grise pour répondre à des trous du cul aux ordres et grassement payés
Peut-être, oui….
Bof… Des compétences de ce journaliste, on s’en fou un peu. Ca montre au contraire qu’il est polyvalent. Par ailleurs il n’a eu qu’un simple travail de retranscription, pas d’analyse. Votre article devrait plutôt se concentrer sur Allies plutôt que l’autre personne – cela ne fait que l’allonger. Vous rajoutez des lignes pour rien, comme les journaleux que vous critiquez, allez à l’essentiel 🙂 Allies OK, le reste on s’en fou..