Tous pourris sauf Nous les Journalistes ! 1/2

     Le “numéro spécial” de Marianne, paru le 14 avril, était consacré à la traque et à l’analyse des “mensonges” des candidats à l’élection présidentielle, avec le partenariat de Radio-Beaufs-FN RMC Talk Sport :

Les plus gros mensonges de la campagne. Les candidats et leurs mensonges. Qui ment le plus ? Qui ment le mieux ?”

     En introduction à leur glorieux travail de “désintoxication”, les rédacteurs de Marianne se félicitent d’avoir “passé au crible les discours des 10 candidats” et “sélectionné les plus beaux bobards de cette présidentielle 2012”.
Pour ce qui concerne Jean-Luc Mélenchon, les journalistes Jean-Dominique Merchet et Hervé Nathan ont la bonté de prévenir notre insouciance d’électeurs non-journalistes : attention, “on peut mentir par omission”. Car en effet,

« Jean-Luc Mélenchon […] prend garde de n’avancer qu’avec prudence. Son rapport aux chiffres est méticuleux. Mais le problème du candidat de l’utopie est ailleurs : comment trouver 195 milliards d’euros par an pour financer le programme du Front de gauche ? »

Heureusement que ces deux sages sont là pour nous expliquer qu’En-Vérité-Ils-nous-le-disent :

« Tous ces politiques jouent avec bonheur sur l’extraordinaire amnésie – ou paresse ? – des médias français, qui, à quelques exceptions près (lire p.37¹), cherchent plutôt à glaner la petite phrase et la formule choc qu’à vérifier calmement les affirmations aussi fracassantes que successives des présidentiables.”

Eh bien, messieurs les très laborieux, très consciencieux, très humbles journalistes ont-ils vérifié calmement les affirmations de Mélenchon ? Ont-ils résisté, eux, à la tentation du glanage de petite phrase et de formule « choc » ? Non, la tentation était trop forte, la paresse de l’esprit trop grande. Gérard Andrieu, chargé de traquer les “mensonges” de J.-L. Mélenchon, relate, dans les deux pages qu’il lui consacre, intitulées “Mr Méluche et Pr Mélenchon » que

“Mr Méluche est là encore, au premier jour de la Fête de l’Huma, entouré d’une poignée de journalistes à l’arrière d’un chapiteau. Ils l’interrogent sur le chiffrage de son programme ? Le premier prix de conservatoire répond bravache : “Chiffrer un programme ? Il n’y a rien de plus facile ! L’économie, c’est de la plomberie !” Emballé, c’est pesé, y a-t-il d’autres questions pour “Huggy et les bons tuyaux” ?”

Oui, il y a d’autres questions. Par exemple, pour commencer : pourquoi sélectionner la seule fois où Mélenchon ne détaille pas le chiffrage de son programme, interrogé à l’arrière d’un chapiteau durant une fête ? Pourquoi ne pas relever plutôt toutes les autres fois où Mélenchon le détaille ? Ou mieux : pourquoi ne pas questionner la pertinence du “chiffrage” ? C’est le sacrilège que Mélenchon commit deux mois avant le début de la campagne électorale officielle, dans cet entretien avec l’agence d’information « Bastamag », au cours duquel il fut interrogé sur le “chiffrage” de l’augmentation du S.M.I.C. :

“Nous sommes en train de la chiffrer. Notez que nous sommes sympas : nous pourrions tout prendre et ne rien donner ! C’est une possibilité que je rappelle à ceux qui élèvent trop la voix. C’est ce qui s’est passé en 1789 : nous avons tout pris, et rien donné. Votre question est aussi vieille que le socialisme : Jean Jaurès a été interpellé à l’Assemblée nationale par un gars de droite qui lui disait : « Mais chiffrez, M. Jaurès, chiffrez votre projet ! »
À l’époque, Jaurès proposait la propriété collective des moyens de production. C’était un vrai socialiste ! Et Jaurès répond : « Écoutez, vos ancêtres ne se sont pas posés la question avant de confisquer la totalité des propriétés terriennes du clergé, qui possédait plus de la moitié de la terre. » Je réponds de même !”

Quel est le mensonge de Mélenchon ? Celui de ne pas avoir répondu, une fois ? Ah oui mais les journalistes nous ont prévenu dès le début : « On peut mentir par omission ». Bon, vous suivez ou pas ?

     Quant au glanage de la petite phrase et de la formule choc, Andrieu n’y résiste pas. Tel un perroquet atteint du syndrome du poisson rouge, il mentionne, comme ses confrères l’ont bêlé cent fois avant et après lui, cette information tout à fait indispensable : la fameuse “sortie” de Mélenchon “sur Hollande, le « capitaine de pédalo »”. Ce glanage de petite phrase et de formule “choc”, caractéristiques de l’information qui n’informe pas, mais transforme la politique en spectacle, vont rarement sans la volonté du malade vindicatif, dégoûté de la politique (ou feignant de l’être), de contaminer de son dégoût le bien-portant avec ses catégories foireuses : “Tous ces politiques…”, “les politiques”, ou encore “la classe politique” — termes ineptes ayant « pour principal avantage de gommer le fait qu’il y a une droite et une gauche », ainsi que Mélenchon le résume au cours d’une  rencontre avec des apprentis journalistes, et d’inspirer lassitude et résignation dans l’esprit du citoyen qui n’est pas encore las de politique. Je suis las, je suis désabusé, souffrant ; sombrez avec moi dans le dégoût, ne vous occupez donc pas de politique…

« Et pourtant, Mr Méluche sait céder la place à Pr Mélenchon, enseignant à l’université populaire de la “révolution citoyenne”. Parce que, chiffrer son programme, il peut le faire. Certes, il n’est pas du genre à se poser en candidat “sérieux” obsédé par la dette comme le serait, selon lui, le camarade Hollande. Mais Mélenchon sait être précis. Il aime l’être.
Il faut le voir débarquer à une émission de radio ou pour un face-à-face avec toute une rédaction avec pour seul compagnon une liasse de feuilles, glissées dans une mince pochette. Ce sont ses fiches, les pense-bête dont il ne se sépare jamais. Et si, par malheur, il les oublie et qu’on l’interroge sur un chiffre dont il n’est pas sûr, il s’en excuse, préfère passer son tour plutôt que d’avancer une donnée erronée. C’est que le professeur ne veut pas, ne doit pas, être pris en défaut. »

Le journaliste, très sérieux, éthique et courageux, fait référence à “une émission” en général (donc on ne sait pas laquelle). Fait-il aussi référence à ce face-à-face en particulier – très drôle, puisque Mélenchon compare le journaliste économiste, incapable de penser sans « chiffrage », à la poule domestique d’autrefois, inapte à pondre sans un œuf factice, le « gnau »² ? Nul ne le sait. La métaphore hilarante de Mélenchon ne l’empêche pas de chiffrer son programme avec précision. Si Mélenchon « préfère passer son tour », monsieur le journaliste doit préciser où et quand, sinon le lecteur en conclut que Mélenchon se défile lors des face-à-face en général. Or il n’a pas été fréquent,  au cours de cette campagne électorale, que Mélenchon “passe son tour” sur quelque question que ce soit, même à l’improviste.

     En ne précisant pas quels sont ses mensonges, le journaliste insinue que M. Mélenchon ment en général, qu’il est donc un habitué du mensonge ! Il est très drôle que M. Andrieu ironise sur l’aptitude de M. Mélenchon à être précis, puisque M. Andrieu ne cite pas les sources de ses informations et ne donne aucun exemple concret, ce qui est pourtant la base du métier de journaliste, comme le proclame la Charte d’éthique professionnelle des journalistes, et comme Mélenchon l’explique dans ces entretiens sur leurs devoirs, ainsi que sur le degré d’exigence que le citoyen peut avoir à leur égard.

Le lecteur ne peut donc pas vérifier, il ne peut pas savoir de quel mensonge est coupable Mélenchon (puisque, rappelons-le, ces deux pages entières font partie du “numéro spécial” de Marianne intitulé “Les plus gros mensonges de la campagne. Les candidats et leurs mensonges. Qui ment le plus ? Qui ment le mieux ?”. Le citoyen doit donc faire confiance au journaliste, le croire sur parole.

     La seconde page de l’article de M. Andrieu est sous-titrée “Le candidat des ouvriers séduit d’abord les classes moyennes”. Son détecteur de mensonges lui signale l’apparente incohérence, pour commencer, qu’il y a à ce que “Mélenchon a placé sa campagne […] sous la bannière “Place au peuple”, alors que,

“d’après le dernier baromètre Ifop, ce sont encore François Hollande (29%), Marine Le Pen (26%) et Nicolas Sarkozy (17%) qui le devancent en part d’ouvriers parmi les électeurs potentiels. La structuration même de son électorat est assez éclairante. D’après une autre étude Ifop réalisée pour l’Humanité et analysant sa “dynamique électorale”, si le Front de gauche progresse chez les ouvriers, les professions intermédiaires et les cadres de la fonction publique, il est encore en retard chez les “employés civils et agents de service de la fonction publique”, et même à la peine parmi les “personnels de service directs aux particuliers”, ces “assistantes maternelles, concierges, aides à domicile…” en proie au temps partiel et à la précarité.”

Selon le détecteur de mensonges de Gérald Andrieu, Jean-Luc Mélenchon est un menteur puisqu’il refuse d’avoir foi en la vérité révélée des sondages. Le refus de faire confiance aux sondages est donc la même chose que mentir.

     Les deux pages consacrées à Mélenchon dans le dossier “Les plus gros mensonges de la campagne” sont évidemment suivies des deux pages consacrées à Marine Le Pen, pratique habituelle des éditorialistes militants et/ou stupides ayant un but bien précis : l’assimilation de Mélenchon à Le Pen, non seulement en accolant systématiquement leurs noms, mais surtout en répétant sans cesse que les deux se ressemblent et ont des points communs. Les plus répugnants, les plus paresseux de l’esprit sont allés jusqu’à l’insulter de « Le Pen de gauche » et à faire l’équation “Mélenchon = Le Pen”, que les citoyens crédules et stupides répètent ensuite, tels des perroquets : “Mélenchon ? C’est un démago, c’est un populiste, comme Le Pen. Il dit ce que les gens veulent entendre.” Des démonstrations de ce procédé abject avaient été faites dans ce “zapping” sur le thème “Mélenchon = Le Pen”, cet autre exemple de l’A.F.P. en témoigne, ainsi que cet article d’Acrimed.

 Mais bon, pour la 1000ème fois, ce doit être un hasard, ne soyons pas paranoïaques.

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Marianne s’engage ? À quoi ? À confondre liberté de la presse et liberté de mentir ? de tromper ?

1. Un article sur le « décryptage »…
2. D’où l’expression « bête à couver un gnau ».

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Une réponse à Tous pourris sauf Nous les Journalistes ! 1/2

  1. Comme disait Gabin dans « Deux hommes dans la ville », « A partir d’une certaine somme, tout le monde écoute », ou tout le monde se couche.
    Déjà qu’il y a 30% de turn-over dans le journalisme, celui qui a un poste et un poste très bien payé, eh bien il met de la feutrine sur ses genoux…

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