Libération vitupère contre la critique des médias

« Que serait un monde sans journalistes ? »
Corporatisme et nombrilisme médiatique

Ce 28 mars, le journaliste Christophe Deloire pleurniche dans son article « La virulence contre les journalistes ne fait pas une politique ». Tout d’abord il concède que « Oui, la médiacratie est une forme dégénérée de la démocratie. »

« Oui, les journalistes ne sauraient s’étonner des retours de bâtons s’ils s’érigent en « cléricature », en tribunal du bien et du mal, voire en tribunal tout court. Oui il arrive que la prétention, la mauvaise foi, l’absence de rigueur et les « emballements médiatiques » agacent les responsables politiques, les citoyens et jusqu’aux journalistes eux-mêmes, loin d’être aveuglés par un supposé corporatisme…
Comme tous les citoyens, les politiques sont fondés à critiquer la « presse ». Pendant longtemps, en dehors des cercles restreints de l’université ou de la « critique médias », cette « fonction sociale » qu’est le journalisme échappait au discours politique, comme s’il s’agissait d’un exercice neutre, hors du champ de la contestation. On peut se réjouir que les questions du pluralisme, de l’indépendance du journalisme, et pourquoi pas de sa qualité, sa pertinence, redeviennent d’intérêt public. »

Puis le journaliste accuse « les responsables politiques », « à quelques exceptions près », de ne pas prendre d’initiatives « pour que la France se retrouve à une meilleure place que la 39e, qu’elle occupe au classement mondial de la liberté de la presse publié par Reporters sans frontières. » Évidemment, cette mauvaise position au classement est la faute de la majorité des responsables politiques, mais pas des responsables médiatiques, (à quelques exceptions près). Le journaliste continue de vitupérer ses généralités :

« La vitupération traduit-elle une exigence pour le journalisme ou représente-elle un danger ? Quiconque ne se reconnaît pas dans un discours journalistique, dans une présentation de faits, préfère tomber dans l’insulte ou le mépris. »

Non, bien sûr, « quiconque » critique un discours journalistique le fait sans méthode et sans respect. Puis le journaliste tout mignon tout innocent demande – visiblement au premier degré :

« Ceux qui s’attachent à traquer les débordements journalistiques peuvent-ils reconnaître que les rédactions sont remplies de journalistes qui collectent et rapportent les informations en se fondant sur une « subjectivité désintéressée » ? S’attacher à dévoiler et comprendre le réel, avec honnêteté et doute, est un facteur d’apaisement. »

Il recommence le poujadisme devenu courant à Libération :

« Il serait pertinent que les politiques fassent preuve d’un sens de la « complexité » et, plutôt que s’attacher à des polémiques fugaces, à des déclarations démagogiques, nous donnent matière à réfléchir et débattre sur la divergence des intérêts et sur la nécessité de leur juste et libre représentation. »

Les journalistes de Libération, eux, ces saints, ces martyrs de la vérité, font bien sûr souvent preuve de sens de la complexité, s’attachent rarement à des polémiques fugaces et font rarement des déclarations démagogiques. Et surtout le journalisme « décalé », « insolent », « impertinent », cool et vulgaire qu’ils éructent quotidiennement nous donne à penser. Enfin le journaliste conclut :

« Ce climat de dénonciation est attentatoire à la liberté de la presse, en ce qu’il procède de l’intimidation. »

Le journaliste montre son vrai visage : il est hostile à une critique radicale – donc philosophique – de certaines méthodes, de certains comportements journalistiques. Le journaliste Christophe Deloire est donc hostile à la liberté de la presse. Car la critique de la presse est entre autres choses ce qui permet sa liberté. Mais il semblerait que Sa Sainteté Journalissime Christophe Deloire exige la toute-puissance des médias, et l’interdiction de trop questionner cette toute-puissance.
Voici ce que le journaliste propose « pour sortir d’un système de « servitude réciproque » », encore au premier degré :

« Il est urgent d’en finir avec le mélange des genres et que chacun fasse son travail. Celui des journalistes consiste à rapporter des faits. Celui des responsables politiques est de nous préparer un monde correspondant le plus possible à nos choix collectifs. Or que serait un monde sans journalistes ? Un paradis débarrassé de prismes inutiles ? A l’évidence, ce serait tout au contraire un monde saturé de messages de communication, de propagande, envoyés par des structures publiques et privées, parfois des individus, sans qu’il soit possible de distinguer le vrai du faux, la manipulation de l’information imparfaite mais honnête. Les journalistes ne sont pas toujours à la hauteur de l’idéal, peut-être, mais lorsqu’on leur tape trop fort dessus, quand on porte atteinte à la confiance dans une fonction sociale en soi, on restreint les libertés de tous les citoyens. »

Parce qu’un monde avec les journalistes – avec ces journalistes – n’est-ce pas précisément  »un monde saturé de messages de communication, de propagande, envoyés par des structures publiques et privées, parfois des individus, sans qu’il soit possible de distinguer le vrai du faux, la manipulation de l’information imparfaite mais honnête » ?

Le journaliste s’autoproclame « fonction sociale en soi ». Selon sa « pensée » journalistique, il est évident que son journalisme est indispensable – absence de pensée et nombrilisme de tant de journalistes… Qu’est-ce que le journalisme ? Dire ce qui se passe dans le monde. Et que se passe-t-il ? Il se passe le monde. Tout dire, tout décrire, tout le temps, partout, avec cette diction ridicule, dans l’indifférentiation et la juxtaposition permanente (passage d’un tremblement de terre aux résultats du foot) c’est la Liberté. Un monde sans ce journalisme serait évidemment régressif et réactionnaire. La forme outrancière que prend le journalisme (information continue) devrait pourtant amener à penser, à philosopher, donc à questionner le journalisme, et pas seulement ses « excès », ses « abus »  et ses « outrances » ; à questionner la valeur du journalisme, et non pas seulement les médiacrates, leur laquais, ou les « bons » et les « mauvais » journalistes. Un journalisme non débile peut exister : il éviterait sa pente naturelle de l’inculture, de l’indifférentiation et de la juxtaposition permanente de sujets graves et futiles.

Et bien sûr dans le deuxième paragraphe, Libération (fidèle à son habitude éthique, neutre objective) fait son habituel éventail politique allant de Le Pen à Mélenchon (oubliant qu’un vrai « éventail » va logiquement jusqu’à Lutte ouvrière) :

« A l’extrême droite, Marine Le Pen invective Canal + : des «bobos horribles, pleins de morgue». A Paris, Nathalie Kosciusko-Morizet accuse une journaliste du Monde d’être «la 21e tête de liste du PS». Nicolas Dupont-Aignan accuse untel d’être «une merde intégrale». Le dirigeant du Parti de gauche Jean-Luc Mélenchon lance sur son blog un appel à la vindicte […] »

Bon, le journaliste confond ici vindicte et mépris. Peu importe le sens des mots pour un journaliste de Libération. Peu importe aussi le caractère déontologique, éthique, neutre et objectif de son « éventail »… éventail très représentatif… qui comprend deux responsables politiques d’extrême droite, un de droite et un de gauche. Bien entendu, aucun membre du Parti socialiste ne critique les médias. Non. Seuls les démagogues le font.

***

Sur le même sujet, voir aussi « L’impossible autocritique des journalistes » et « Libération associe innocemment Mélenchon à l’ultra-violence » (OPIAM).

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Une réponse à Libération vitupère contre la critique des médias

  1. Dorzédéjà dit :

    La quintessence du journalisme, c’est l’immense Plantu qui l’a le mieux révélée par son dessin posant l’équivalence symétrique de Mélenchon et de la Pen. Juxtaposer pour indifférencier, désamorcer la dangereuse question du sens en la noyant dans le futile. Dans les écoles de journalistes, on continue à enseigner que l’information est un produit comme les autres, et que cela n’a rien de honteux. Sur BFN, on passe tout naturellement de la catastrophe aérienne au match de foot, de la météo aux élections…Il est fréquent que le même temps de parole soit consacré à chaque  » sujet ». Le consommateur d’information n’est ainsi pas dépaysé, il est devant les rayons…

  2. ed dit :

    « éventail très représentatif… qui comprend deux responsables politiques d’extrême droite, un de droite et un de gauche.  »

    Deux responsable d’extrême droite ?
    Le Pen et qui ?
    Dupont-Aignan ou Nathalie Kosciusko-Morizet ? Il me semble que ni l’un ni l’autre n’est d’extrême droite .

    • O.P.I.A.M. dit :

      Dupont-Aignan se dit gaulliste, mais pourtant il a dit que s’il était président il pourrait prendre Le Pen comme premier ministre. Il se sont rencontrés pour parler de leurs convergences.

      • ed dit :

        Dupont-Aignan n’as rien avoir avec l’extrême droite, mais il pense que Marine Lepen n’est pas d’extrême droite mais qu’elle est dans n parti d’extrême droite, je pense qu’il se trompe la dessus… ( mais quand on entend parler Phillipot par exemple on entend plus du Gaullisme que de l’extrême droite mais je crois que c’est un attrape couillon, moi ) .
        C’est pourquoi il lui a proposer d’être dans son gouvernement à condition de quitter le FN et de renier l’extrême droite .
        Il a aussi proposé à des personnalité comme Chevénement ou Montebourg de s’unir avec lui .

  3. LaCamille dit :

    Le plus savoureux c’est que Christophe Deloire a l’air de croire ce qu’il dit… Pauvre de lui.

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