Choisir ses mots, c’est choisir son camp

« Gauche = extrême gauche », « gauche = extrême droite », « extrême gauche = extrême droite »… Des journalistes ont encore pensé : tout ce qui n’est pas solférinien est d’extrême gauche.

     Le 5 juin, Clément Méric, dix-huit ans, militant politique de gauche, a été tué par un groupe de néonazis, en pleine rue à Paris. Un grand nombre de journalistes qui ont relayé le crime se sont livrés à deux actes qui ont un sens historique et idéologique. Ils ont non seulement maquillé les militants néo-nazis en « nationalistes » et en « extrême droite (pourtant, les « Jeunesses Nationalistes Révolutionnaires » se revendiquent eux-mêmes ouvertement de l’Allemagne nazie, du fascisme mussolinien et français), mais surtout, ces journalistes dans leur immense majorité ont réduit le crime des néo-nazis à une guéguerre entre « les extrêmes » (qui-se-touchent, c’est bien connu), renvoyant dos à dos la victime et ses agresseurs, sans réellement l’assumer.

D’où est-ce que ces centaines de journalistes tirent-ils l’information que Clément Méric était d’ « extrême gauche » ? La plupart ont dû recopier les premières réactions de leurs collègues, qui précisent que Clément Méric était militant antifasciste et syndicaliste à « Sud ». Réduire l’antifascisme à une activité de l’extrême gauche uniquement est soit la manifestation d’une inculture politique totale, soit l’aveu du réducteur qu’il pense que tout ce qui n’est pas d’extrême gauche… n’est pas hostile au fascisme. Pourtant, tout républicain, même social-démocrate n’est-il pas antifasciste ? Les journalistes dans leur ensemble – c’est-à-dire en tant que corporation – se sont tellement droitisés et extrême-droitisés qu’à leurs yeux, tout ce qui n’est pas solférinien est d’extrême gauche… Ils portent une responsabilité énorme dans la montée du fascisme en Europe. Dans le genre, il y avait eu le fameux article ¹ de Lilian Alemagna dans Libération, qui précisait dans son résumé que la manifestation du 30 septembre contre l’austérité avait été organisée « à l’appel de l’extrême gauche » ; ce qui est faux : l’appel avait été lancé par de nombreuses organisations de gauche et d’extrême gauche.

Voici quelques exemples de l’assimilation non assumée de l' »extrême » gauche à l’extrême droite à la suite du meurtre du jeune homme :

Article de Alexandra Gonzalez, Mathieu Dehlinger et Adrienne Sigel pour BFN TV :

exgLe même sondage à la fin de l’article  :

sondage2Conclusion d’un article de la journaliste Gaëlle Moury paru le 06/06/13 dans le journal belge Le Soir, « d’après AFP » (« Un militant d’extrême gauche agressé à mort à Paris« ) :

Le SoirSon titre :

gaëllemourryOn trouve la même chose dans Ouest France, dans le Huffington Post, dans L’Union-L’Ardennais, Europe1, France-Guyane, LCI-TF1, RTL, La Libre Belgique, Le Point, France Info à 11h46, puis à 12h (la « journaliste » évoque une bagarre entre « des » groupes d’extrême gauche et d’extrême droite alors que seuls les nazis ont donné des coups). Vers 10h15, BFN TV parlait de « guerre entre les extrêmes » avec expert bidon au téléphone… À 12h59, premier titre de BFN TV : « extrême gauche contre extrême droite, l’affrontement à viré au drame »…

Plus tard, la chaîne de télévision du Front national, BFN TV, ne parle plus d’agression mais de « bagarre » et laisse planer le doute sur la responsabilité de la victime… comme la direction du FN…

16h, « flash info » sur France Inter : « victime, un militant d’extrême-gauche « … deux fois en quelques secondes…

Tous ces journalistes objectifs-neutres-éthiques-responsables-etc. trouveront sûrement une excuse pour avoir recopié des dépêches de l’AFP ou/et pour s’être recopiés les uns les autres. L’urgence est bien pratique quand elle permet de militer masqué. Tout journaliste est un militant. Le Parti de gauche ne propose pas d’instaurer une « objectivité » ou une « neutralité », qui de toutes façons n’existent pas et n’existeront jamais. Le Parti de gauche propose d’assurer le pluralisme dans les médias. C’est-à-dire de prendre des mesures pour que des opinions contraires puissent s’y exprimer, et non pas toujours les mêmes qui répètent en boucle toujours les mêmes choses. Ces propositions figurent dans le chapitre 1 du programme partagé du Parti de gauche :  refondation républicaine, en particulier les propositions 14, 15, 16, 17, 18) :

14. Assurer le pluralisme des médias

15. Écoles de journalisme: pour un pôle public de la formation

16. Pour des médias citoyens et populaires

17. Élection du président de France Télévisions par les citoyens

18. Changer les conditions d’exercice du métier de journaliste

***

Le titre de cet article est une référence à celui de Daniel Schneidermann, publié aujourd’hui dans Rue89 et Arrêt sur Images : « Clément Méric, étudiant frappé à mort : choisir ses mots, c’est choisir son camp« .

1. Libération, 01/10/12, page 2, « Un non, une marche et des courants ».

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Une réponse à Choisir ses mots, c’est choisir son camp

  1. dorzédéjà dit :

    Pour une dissolution équitable des mouvements extrèmistes, il est urgent d’abolir toute asymétrie entre la droite et la gauche. C’est pourquoi, sur le modèle de la loi de 1972 contre l’incitation à la haine raciale, je propose une loi contre l’incitation au marxisme. Sachons nous inspirer du bon sens d’un Plantu ou d’un Copé.

  2. Ping : Clément n’était pas extrêmiste, simplement de gauche, comme moi #RIP | les échos de la gauchosphère

  3. morvandiaux dit :

    CLÉMENT, 18 ANS, MILITANT DE GAUCHE, ASSASSINE PAR UN GROUPE FASCISTE

    Beaucoup de messages pour dénoncer l’amalgame fait un peu partout dans les médias entre extrême-droite et extrême gauche, renvoyés dos à dos dans une même stigmatisation.

    C’est le même amalgame qui mettait les Brigades Internationales et Franco dans le même sac.

    C’est le même amalgame qui mettait l’occupant nazi et la Résistance dans le même sac, c’est ce que faisait Vichy et la collaboration.

    C’est le même amalgame qui met aujourd’hui Marine le Pen et le Front de gauche dans le même sac.

    Cet amalgame se veut un gage d’objectivité tel qu’on l’enseigne dans les mauvais cours de journalisme.

    Cet amalgame illustre la phrase fameuse de Jean-Luc Godard : « L’objectivité c’est cinq minutes pour Hitler, cinq minutes pour les Juifs ».

    Daniel Mermet

  4. dorzédéjà dit :

    c’est le vrai Daniel Mermet ?

  5. jef dit :

    Bonjour,

    La tribune de Schneidermann est tout à fait éclairante. Et je crains que l’OPIAM n’ait pas compris le sens de son propos.
    Il me semble que Schneidermann en appelle à la réserve concernant une affaire dont on sait trop peu de chose pour pouvoir donner un avis informé et circonstancié.
    Les antifas sont-ils victimes ou bien agresseurs ?
    Doit-on faire d’une bagarre entre jeunes ayant mal tournée, une affaire politique ?

    Bref, les commentaires sur cette affaires sont révélateurs des stéréotypes, et du parti pris de chacun, alors même que la lumière reste à faire.
    En ce sens « choisir ses mots, c’est choisir son camp », mais ce n’est en aucun cas permettre de comprendre mieux ce qui s’est réellement passé.

    • dorzédéjà dit :

      Schneidermann est un des plus intelligents des médiacrates, mais il reste un médiacrate. Voir contestée la symétrie des extrêmes, celle de Plantu et de Copé lui est simplement pas supportable. C’est son fonds de commerce qui s’écroule. La symétrie droite-gauche, c’est leur équivalence, leur indifférenciation, le nihilisme sans lequel le capitalisme est en danger de dévoilement mortel. Saluer l’intelligence de Schneidermann tout en dénonçant sa prison idéologique, c’est pas facile, mais on n’a pas le choix.

  6. Ping : #PS : les solfériniens nous crachent dessus, et nous devrions nous taire ? ça suffit comme ça ! #reseauFDG | les échos de la gauchosphère

  7. Ping : Non! #Clément Meric ne l’a pas cherché! Seuls les fascistes l’ont tué!! |

  8. Ping : Non! #Clément Meric ne l’a pas cherché! Seuls les fascistes l’ont tué!!

  9. La dédiabolisation est bien avancée lorsqu’on arrive à dire 1) que l’assassinat d’un jeune par des skins n’est qu’une rixe qui tourne mal entre « extrêmes », 2) que le FN n’a rien à voir avec tout ça et 3) que la montée d’une gauche prétendument extrême est la véritable menace pour la démocratie.

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