« Mélenchon = Hitler » dans Libération (10/05/13)

     Le 10 mai, Libération a publié un article d’Alain Duhamel intitulé « La résistible ascension de Jean-Luc Mélenchon« . Ce titre est une référence à la pièce de théâtre de Brecht, La résistible ascension d’Arturo Ui, écrite en 1941. Chaque personnage de la pièce évoque ou représente une personne réelle. Arturo Ui représente Hitler. « Résistible » signifie que l’ascension d’Hitler au pouvoir était résistible, c’est-à-dire : aurait pu être évitée.

Dans la conclusion de son article, le journaliste Alain Duhamel accuse Jean-Luc Mélenchon de vouloir « construire son destin sur les ruines de la social-démocratie », ce qui serait « son véritable objectif », de même qu’ Hitler a accédé au pouvoir notamment grâce à une social-démocratie allemande en ruines. Ce sont les sociaux-démocrates allemands qui ont appelé Hindenburg au pouvoir, et c’est Hindenburg qui a nommé Hitler chancelier en 1933. Le journaliste accuse à la fois Mélenchon d’être coupable de l’ascension de Le Pen, et d’être un nouveau Hitler :

« Jean-Luc Mélenchon exagère toujours, c’est son tempérament, son style, son talent, sa méthode. Il avait fixé à l’avance à 100 000 le nombre de manifestants à partir duquel il serait en droit de revendiquer un succès. Il a proclamé en avoir rassemblé 180 000, ce qui a semblé aux yeux de tous les observateurs présents sur le terrain une évaluation bien marseillaise. En fait, les plus impartiaux tablent sur 40 000 ou 50 000 marcheurs. C’est beaucoup. Cela prouve bien qu’il existe à gauche de la majorité, une opposition populaire puissante oscillant entre déception, ressentiment et colère. Elle n’est pas homogène. Elle rassemble les trotskistes, les communistes, les mélenchonistes et une fraction des écologistes. Autant d’affluents, autant de lignes politiques.
Un seul leader cependant, un seul chef de file, une seule figure de proue : Mélenchon. On ne vient pas de toute la France pour défiler derrière Pierre Laurent, Eva Joly ou même Olivier Besancenot. Seul mobilise, seul incarne, seul enthousiasme, seul émeut le tribun Mélenchon, avec ses accents tantôt hugoliens qui semblent descendre des socialistes utopistes de 1848, tantôt ses invectives, ses menaces et son charisme lyrique qui veut cousiner avec le chavisme et le bolivarisme. Sa grande réussite, c’est qu’il suscite à la gauche de la gauche un authentique culte de la personnalité. Son grand échec est que ce phénomène se produit au détriment de la gauche réformiste, au bénéfice de la droite et de l’extrême droite. Il redonne des couleurs à la gauche de rupture mais rend l’espoir d’une revanche à l’UMP et offre celui d’une percée au Front national.
Son succès personnel risque donc de conduire à l’échec collectif de la gauche. En deux années, il s’est superbement imposé comme le premier orateur politique actuel, comme la nouvelle star politique des médias. Sur les estrades, dans les studios, il explose, il irradie, il fabrique inlassablement des esclandres, des bras de fer, des apostrophes, des fatwas. Il invente des formules, il crache des anathèmes, il tyrannise les journalistes et le public, qui adore voir le lion dévorer le dompteur, se précipite, en redemande. On n’avait pas connu pareil phénomène depuis Georges Marchais. L’ennui est que, comme avec Georges Marchais, justement, ce triomphe individuel peut déboucher sur une déroute politique. Sous la conduite de la superstar Marchais, le PCF s’est effondré, la gauche s’est divisée, les Français se sont droitisés. Avec la superstar Mélenchon, les mêmes causes peuvent produire les mêmes effets.
S’agissant de Jean-Luc Mélenchon lui-même, c’est déjà l’évidence. Il draine des dizaines de milliers de manifestants et des millions de téléspectateurs, mais en un an son image s’est lourdement dégradée. Le terrible sondage Ifop-Journal du dimanche, publié le week-end dernier, établit qu’aux yeux des Français il apparaît nettement plus sectaire que Marine Le Pen, plus éloigné qu’elle de leurs préoccupations et moins novateur. Marine Le Pen s’est affublée d’un masque, Mélenchon a préféré se costumer en capitaine Fracasse. La présidente du FN revendique désormais un conservatisme ultranationaliste qui se veut protecteur et en apparence rassurant. Le coprésident du Front de gauche joue les épouvantails, brandissant un changement de régime (la VIe République), un bouleversement économique, une brusque rupture sociale. Au pic d’une crise féroce, cela peut enchanter des militants mais cela affole les électeurs. Résultat : le Front national progresse dans les intentions de vote et les élections partielles alors que le Front de gauche s’affaisse. La question est d’ailleurs de savoir combien de temps le PCF tolérera que l’on menace ses ultimes bastions municipaux. Comble du paradoxe : alors que Jean-Luc Mélenchon croque tout cru du socialiste à chaque repas, il agite une candidature baroque à Matignon. A la cohérence implacable de Marine Le Pen, il oppose une incohérence romantique.
Ce n’est pas le pire. Mélenchon travaille d’arrache-pied à briser la gauche en deux. A la gauche réformiste, il oppose une gauche de révolte. A la gauche de gouvernement, il oppose une gauche de protestation. A la gauche majoritaire, il inflige une gauche d’opposition. Dans le pays d’Europe où la fiscalité sur les entreprises et sur le capital est la plus lourde, où les marges des entreprises sont les plus faibles, il accuse théâtralement François Hollande de capituler devant la finance internationale et le CAC 40. Dans le pays où les dépenses publiques sont les plus massives et les dépenses sociales les plus généreuses, il foudroie le président social-démocrate pour son indifférence présumée aux malheurs des plus faibles et des plus menacés. Querelle qui ne cache pas son véritable objectif : construire son destin sur les ruines de la social-démocratie. Pour le plus grand bénéfice, cela va de soi, des libéraux et de l’extrême droite. »

     Pour diaboliser J.-L. Mélenchon, le journaliste a recours à un champ lexical « suggérant un rapprochement avec les clichés des totalitarismes », comme dit l’historien André Gunthert à propos de la diabolisation par l’image. Ce vocabulaire, dit-il, « omet le comparant, qui reste implicite et doit être restitué par le destinataire » (« un seul leader« , « un seul chef de file« , « une seule figure de proue« , « culte de la personnalité« , « triomphe individuel« , « il tyrannise« , « superstar« , « joue« , « se costumer« , « enchanter« , « brandissant« ). Mais le message, c’est “Mélenchon = Hitler”. André Gunthert dit que l’article de Raphaëlle Besse Desmoulières et Vanessa Schneider ayant assimilé récemment Mélenchon à Hitler « ne pourrait se permettre d’énoncer un message aussi grossier et aussi insultant ». Il en va de même pour celui d’Alain Duhamel. Le procédé est exactement le même. Le lâche n’ose pas dire « Mélenchon est un nouveau Hitler ». Il n’assume pas. Et l’assimilation de Mélenchon à Hitler n’est pas que dans le titre, puisque l’article contient plusieurs références au rôle de comédien joué par Hitler dans la pièce de Brecht. Dans la pièce, Hitler prend des cours de théâtre et se ridiculise. Ainsi Duhamel ridiculise Mélenchon le comédien qui « a préféré se costumer en capitaine Fracasse », qui « joue les épouvantails », « brandissant un changement de régime » qui « peut enchanter les militants ». Il y a aussi cet étrange mimétisme entre l’article de Duhamel et les premiers vers de la pièce de Brecht :

« […] il tyrannise les journalistes et le public, qui adore voir le lion dévorer le dompteur, se précipite, en redemande. » (Duhamel)

« Chers spectateurs, nous vous présentons
– Vos gueules un peu, dans le fond !
Chapeau là-bas, la petit’ dame ! –
Des gangsters l’historique drame » (Brecht)

Le journaliste de Libération Lilian Alemagna a fait récemment un gros titre – « Mélenchon pour la « purification » éthique » – suggérant « purification ethnique », alors que Mélenchon n’a jamais prononcé le mot « purification », mais a parlé de « purifier cette atmosphère politique absolument insupportable ».

Quant à Duhamel, qui a déjà plusieurs fois accusé Mélenchon de populisme, il recommence cette fois-ci à mots couverts. Mais on pourrait appliquer à Duhamel son propre « raisonnement ». En effet, il ne veut que le bien – en apparence – des électeurs, qu’il veut détourner du démagogue manipulateur d’émotions Mélenchon :

« Au pic d’une crise féroce, cela peut enchanter des militants mais cela affole les électeurs. »

Dans La résistible ascension d’Arturo Ui, Hitler (Ui) dit :

Vous devez croire en moi ! Croire ! Vous devez croire
Que je ne veux que votre bien, et que je sais
Quel est ce bien. […]

Mais pourtant, quoi de plus populiste que celui qui dit « voyez comme je ne vous affole pas, comme je ne suis pas populiste, moi ! voyez comme je suis honnête avec vous, comme je ne vous flatte pas, comme je ne vous vends pas du rêve, comme je vous fais aimer le goût du fouet ! » ? Quel brevet ces journalistes ont-ils, qui puisse assurer qu’eux ne sont pas populistes et sont du côté de la Raison ? N’a-t-il pas perdu la tête, celui qui dit que Marine Le Pen est d’une « cohérence implacable » dans un journal qui se réclame de la gauche ?

Dans la dernière phrase de son article, Duhamel accuse Mélenchon de travailler « au bénéfice » de l’extrême droite – un comble, après avoir parlé de « la cohérence implacable de Marine Le Pen ». Et c’est Duhamel qui travaille au bénéfice de l’extrême droite en disant que Le Pen est « anticapitaliste », en l’assimilant à la gauche régulièrement, quand Mélenchon, lui, la combat seul à Hénin-Beaumont sous les injures.

Ajout, le 19 avril : un commentateur du blog L’Atelier des icônes remarque que la phrase « Un seul leader cependant, un seul chef de file, une seule figure de proue : Mélenchon” sonne comme “Ein Volk, Ein Reich, Ein Führer”…

***

Prochainement : Mélenchon hanté par « les pires crimes »  dans Libération

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Une réponse à « Mélenchon = Hitler » dans Libération (10/05/13)

  1. Le paradoxe de la caricature hypocrite de Mélenchon, c’est qu’elle lui donne deux fois raison, en renversant la preuve par l’excès du côté de ses accusateurs… L’arme de la caricature n’a de sens qu’à la condition d’être proportionnée. Mélenchon est-il aussi dangereux qu’Hitler? Que Le Pen? Ceux qui le pensent montrent qu’ils n’ont plus toute leur raison, d’abord en produisant des amalgames injustifiables, ensuite en les plaçant sous le régime de l’allusion, comme prêts à être niés… De telles postures relèvent de la psychanalyse plus que de l’analyse politique…

  2. Partageux dit :

    Tu as de bien mauvaises fréquentations. Tu vas mal tourner. ;o)

    Je te prescris une infusion de balai chaque matin au petit déj. Pour dégager la racaille qui sévit dans le journalisme (si on peut encore employer ce mot pour désigner ça…)

    Mais surtout, hygiène mentale personnelle, cesse de lire les « mauvais livres » comme on disait naguère quand on envoyait au bûcher pour moins que ça. ;o)

    Bonne journée, mon camarade.

  3. Iséroise dit :

    « Duhamel accuse Mélenchon de travailler « au bénéfice » de l’extrême droite – un comble, après avoir parlé de « la cohérence implacable de Marine Le Pen »

    C’est bien connu, « les cons ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît ! »

  4. Ping : #Hollande, le chef d’orchestre du Titanic | les échos de la gauchosphère

  5. dorzédéjà dit :

    Comme une bernique à son rocher, Duhamel est accroché à son sacerdoce de solférinien en chef des média. Il excommunie tout ce qui échappe à sa minuscule boîte à outils conceptuelle. Et Mélenchon, bien plus que la Pen, doit lui sembler un extra-terrestre. Il faut l’éliminer, comme on enfouit sa mauvaise conscience.

  6. dorzédéjà dit :

    Je m’aperçois que j’ai peut-être pris un Duhamel pour un autre. ( faut toujours mettre les prénoms). Ma foi, ils sont parfaitement interchangeables, tous les caniches ont un air de famille.

  7. PierreKiroul dit :

    Honte aux diabolisateurs du FG et aux banalisateurs du FN ce parti d’extrême droite !
    http://baliserouge.canalblog.com/archives/2014/02/12/29194878.html

  8. Lescoumet dit :

    Ne Mélenchon pas l’esprit militant avec la malhonnêteté intellectuelle qui consiste à « déguiser » jean-Luc en Nazi. Pauvre média de gauche traditionnelle qui s’abaisse à d’aussi basses besognes. je n’ai plus envie de l’acheter. L’heure est pourtant grave !

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