27 juin 2011 – Article d’Éric Le Boucher, ou les cinq techniques pour discréditer le Front de Gauche sans avoir à argumenter

     Comment discréditer le Front de Gauche ? Voilà la question que se posent en ce moment des centaines de cerveaux laborieux. Oligarques, adversaires et concurrents politiques malhonnêtes, journalistes vendus, et autres tristes individus incapables d’attaquer la ligne politique du Front de Gauche à coups d’arguments solides, se creusent vivement la cervelle. Malheureusement pour eux, et heureusement pour le Front de Gauche, ils n’ont à leur disposition que quelques techniques assez banales et facilement repérables, et leur malhonnêteté, quand elle n’est pas soigneusement distillée dans un semblant d’argumentaire et d’objectivité, est souvent criante. C’est donc non sans amusement qu’on peut recenser ces techniques.

On peut en discerner cinq  :

  1. L’assimilation du Front de Gauche à l’extrême-gauche, généralement présentée comme risible.
  2. L’assimilation du Front de Gauche à l’extrême-droite, à l’aide de vocabulaire propice à l’équivoque (populisme, protectionnisme, etc.), d’omissions, de circonvolutions et autres ambages.
  3. L’assimilation du Front de Gauche à l’horreur du stalinisme et/ou des régimes communistes dictatoriaux ou assimilés.
  4. L’assimilation du candidat du Front de Gauche à la social-démocratie (30 ans membre du Parti Socialiste, il a voté pour Maastricht et a été ministre sous Jospin, etc.), à l’aide de l’affirmation selon laquelle il acceptera forcément un poste de ministre dans un gouvernement dirigé par le PS. Ce procédé est lié au 5ème :
  5. Les attaques grossièrement psychanalytiques et autres brèves de comptoir visant le prétendu caractère du candidat du Front de Gauche (égocentrique, fourbe, opportuniste, menteur, etc.)

Un article récent réussit l’exploit de réunir à lui tout seul ces cinq techniques. C’est qu’il fut rédigé par un professionnel. Il s’agit de l’article qui fut aujourd’hui à la Une du site Slate.fr, rédigé par un de ses fondateurs, le journaliste Éric Le Boucher, chroniqueur au journal Le Monde, et directeur de la rédaction d’Enjeux-Les Échos. Son titre : “Besancenot – Mélenchon, du cuit au cru”. Le ton est lancé. Sous-titre ? “En ce début du XXIe siècle, l’extrême gauche n’a pas de solution sociale. Elle laisse le champ libre à Jean-Luc Mélenchon qui a pour seule recette un populisme antidémocratique qui n’est qu’une posture politicienne habile.” Bam ! Les cinq sont déjà dans le sous-titre.

  • « extrême-gauche » > technique n°1.
  • « populisme antidémocratique » > technique n°2 et éventuellement n°3 (Éric Le Boucher ne précise pas dans l’article en quoi Mélenchon défendrait selon lui un populisme antidémocratique. Cela dit, à la fois Le Pen, la Chine et Chavez y sont cités. Ça doit être les deux).
  • « qui n’est qu’une posture politicienne habile » > techniques n°4 et n°5.

Photo de S. Burlot

Ce qui domine véritablement son article est tout de même la première, celle de l’assimilation du Front de Gauche à l’extrême gauche. Je réponds donc à ce journaliste en argumentant, ce qu’il ne fait pas.

Figurez-vous, M. Le Boucher, que l’extrême gauche rejette par principe la République en tant que régime représentatif avec lequel elle veut rompre radicalement et immédiatement par la révolution. Ce n’est pas le cas du Front de Gauche, qui rassemble des communistes, des républicains socialistes et écologistes, et des libertaires et auto-gestionnaires qui s’accordent tous sur le fait qu’il faut passer par les urnes pour prendre le pouvoir, démocratiquement, pacifiquement.

Photo de S. Burlot

Le Front de Gauche n’est donc pas d’extrême-gauche. Ce qui peut rendre la chose confuse pour les gens mal informés, c’est qu’il veut une révolution citoyenne. Ne tombez surtout pas dans le piège de plancher uniquement sur le mot révolution, sinon vous serez hors-sujet ! Il s’agit bien d’une “révolution citoyenne”, c’est à dire, pour le Front de Gauche, un changement radical des institutions, mais par les urnes, menant à la convocation d’une Assemblée Constituante, pour aller vers une VIe République parlementaire, sociale et écologiste. Je vous laisse faire des recherches si vous voulez en savoir plus.

L’assimilation du Front de Gauche à l’extrême-gauche est donc irrationnelle. Tout votre raisonnement, M. Le Boucher, ainsi que votre prétendue petite leçon d’histoire de l’extrême-gauche, sont fondés sur du vent, tout comme l’affirmation selon laquelle le Front de Gauche proposerait une solution politique “antidémocratique”. Le fait que ce soit justement tout le contraire ne vous arrête même pas. Vous n’avez même pas fait l’effort de construire de fausses preuves. Je passe également sur votre ignorance du programme partagé, et des travaux de tous les économistes antilibéraux qui nous assurent justement du fait que le Front de Gauche propose des mesures radicales et concrètes, et non l’utopie que vous dénoncez.

Photo de S. Burlot

Par ailleurs, vos basses moqueries lancées contre Olivier Besancenot et contre son “vieux parti” qui n’aurait rien à proposer de concret, et qui je le rappelle fut fondé en février 2009, laisse entrevoir votre haine du trotskisme qui est peut-être à l’origine de votre incapacité à rester dans le domaine de la raison quant il s’agit de critiquer ce qui se trouve à gauche du PS actuel. Vous exprimez également, et c’est là beaucoup plus inquiétant, un mépris pour les ouvriers, considérés en bloc comme de futurs électeurs de Le Pen. “Forte de sa dénonciation de l’immigration”, Le Pen “emporte[rait] la conviction ouvrière”. Quand bien même Le Pen ferait-elle réellement 30% chez les ouvriers, qu’est-ce qui vous permet d’insulter ainsi les 70% restant qui ne votent pas pour l’extrême-droite ?

Le portrait que vous dressez de Jean-Luc Mélenchon est de même conditionné par votre obsession antitrotskiste. Le très jeune Mélenchon fut en effet membre de l’OCI (Organisation Communiste Internationaliste) jusqu’à l’âge de 23 ans, avant d’adhérer au Parti Socialiste, qu’il quitta en 2008. Cependant, pour vous, le retrait de Besancenot et l’élection de Mélenchon à la tête du Front de Gauche, que vous rangez donc à l’extrême gauche, signale le fait que “la Ligue cède aux Lambertistes”. Pour vous, M. Le Boucher : trostkiste un jour, trostkiste toujours !                                                                                          Si ça, ce n’est pas du sectarisme, qu’est-ce que c’est ? C’est alors que les masques tombent, et que vos relents d’extrême gauche ont raison de vous. Oui, M. Le Boucher, relisez-vous :

Le vide de la réponse sociale se paie par le triomphe de la pure manœuvre politique: Jean-Luc Mélenchon est, lui, professionnel de la politique et habile. Admirateur à la fois de De Gaulle et de Mitterrand, il ne croit en rien. Révolutionnaire proclamé, il est notable dans l’âme.

Voilà qui explique tout ! Vous êtes viscéralement d’extrême-gauche. Vous pensez profondément que tous les “professionnel[s] de la politique”, ces « notables », sont voués à la “pure manœuvre politique”, et “ne croi[en]t en rien”. Vous vous méfiez, comme Nathalie Artaud de Lutte Ouvrière, de Jean-Luc Mélenchon, ce “notable” opportuniste qui “est «contre» là où faut être «contre»: la presse, les riches, l’Europe, et «pour» là où il faut être «pour», l’ordre.” Que lis-je ? M. Le Boucher, vous êtes anarchiste. Tous les clichés y passent : Mélenchon soutient le régime chinois, hait tous les Tibétains et admire Chavez. Vous allez même jusqu’à inventer de fausses citations d’un Mélenchon fantasmé, qui aurait traité de “bandes de con” les Tibétains. Oui, en effet, M. Le Boucher, c’est tout dire. Extrême-gauche dans l’âme, vous finissez votre article en reprenant les mots de Besancenot et d’Artaud : Mélenchon jouera au révolutionnaire jusqu’en 2012 avant de se ranger derrière le PS qui lui donnera un ministère.

Étrangement, votre peur de Mélenchon transparaît une phrase plus haut : “Ce serait tout dire si Jean-Luc Mélenchon n’était pas, en réalité, un digne fils de la SFIO, discours révolutionnaire dans l’opposition, gouvernement pépère arrivé au pouvoir”, lancez-vous. “Arrivé au pouvoir”… C’est donc que vous l’envisagez. Mais non, le PS “arrivé au pouvoir”, fallait-il comprendre ! Fichtre, le participe passé est bien accordé à Mélenchon ! Mais ce sera le PS “le grand gagnant”, vous empressez-vous de rectifier. Cafouillage révélateur de la peur que vous inspire aujourd’hui le Front de Gauche. Et si Mélenchon gagnait ?  Horreur ! Vite, discréditons-le avant qu’il ne soit trop tard ! Mais voyons, ce n’est pas comme ça que vous y parviendrez… Critiquez rationnellement ! Étudiez, analysez, comparez, confrontez vos idées et celles du Front de Gauche, sans oublier d’examiner avec attention la situation de crise économique, écologique et démocratique exceptionnelle dans laquelle nous sommes. Je vous souhaite bien du courage.

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Une réponse à 27 juin 2011 – Article d’Éric Le Boucher, ou les cinq techniques pour discréditer le Front de Gauche sans avoir à argumenter

  1. L'insurgé dit :

    Merci pour cet article détaillé!

  2. Alan C. dit :

    Vous devriez également faire mention du fait qu’ils censurent allègrement les commentaires qui ne leur conviennent pas, et c’est pas toujours les moins argumentés !

  3. Léo dit :

    « Figurez-vous, M. Le Boucher, que l’extrême gauche rejette par principe la République en tant que régime représentatif avec lequel elle veut rompre radicalement et immédiatement par la révolution. »

    Dans ce cas là, le NPA n’est pas non plus d’extrême-gauche puisqu’il adhère au principe de l’élection. Le problème n’est pas tellement de savoir qui est d’extrême-gauche ou pas, vu que personne n’est vraiment capable de dire ce qui la caractérise, ni en quoi elle pose problème, à part les clichés la qualifiant de « stalinienne » et la rapprochant de l’URSS et de la Corée du Nord, ce qu’aucun parti qualifié d’extrême-gauche n’est.

    La non-argumentation de Le Boucher est très grossière, pourtant il est tout sauf de gauche et encore moins d’extrême-gauche. C’est un libéral avant tout, et il n’ira pas critiquer le fait que d’autres politiciens, eux plutôt à droite, soient des « notables ».

    • opiam2012 dit :

      Je sais très bien qu’il n’est pas d’extrême-gauche, mais j’ai démontré avec humour en quoi ce qu’il reprochait à une certaine extrême-gauche se retrouvait au fond dans son propre discours. Il se contredit, aussi perdu qu’il est dans sa haine aveugle de la gauche anti-capitaliste.

  4. Benoit dit :

    Bonjour,

    Votre définition de l’extrême-gauche est pour le moins arbitraire : « rejeter par principe la République », ça ne veut rien dire. Si vous voulez parler de la Vième république et/ou de la démocratie représentative, vous seriez probablement plus dans le vrai… Mais il manquerait le principal : l’extension du contrôle populaire (le pouvoir du peuple, donc la démocratie) au « continent noir » qu’est la sphère économique.

    Est-ce que Mélenchon est d’extrême-gauche ? Je ne le pense pas non plus, sans pour autant forcément le classer dans les menteurs professionnels (et il y en a, ne vous en déplaise). L’avenir dira peut-être s’il est sincère, auquel cas il pourrait avoir la trajectoire politique d’un Sankara ou d’un Allende – avec, on l’espère pour lui, une fin plus heureuse. Les hommes, comme les choses, peuvent évoluer.

    Quant à « l’extrême-gauchisme » (si vous me passez l’expression qui je pense ne trahit pas votre pensée) de Eric Le Boucher, je vous prierai de mesurer vos propos, ne serait-ce qu’en mémoire de ceux qui, se revendiquant d’extrême gauche (en Argentine, au Brésil, au Pérou, en Bolivie, au Chili, au Mexique, au Burkina Faso, au Cameroun, au Maroc, en Tunisie, en Egypte, en Iran, a Madagascar, au Vietnam, en Allemagne, en Italie, en Espagne et aux USA même), ont péris sous les tortures des amis de Mr. Le Boucher (Kissinger et la clique Atlantiste, pour commencer).

    Etre d’extrême-gauche, c’est être irréconciliable avec la société qui a commis ces crimes. Eric le Boucher, lui, s’en accommode très bien.

    Salutations

    • opiam2012 dit :

      Bonjour Benoît,
      J’ai bien écrit que l’extrême-gauche rejetait « la République en tant que régime représentatif », donc ma définition rejoint la vôtre. Merci tout de même pour vos précisions, je suis loin d’en être une spécialiste, et j’avais justement peur de dire des bêtises !
      Quant à mon texte ironique, il ne sert évidemment pas à assimiler M. Le Boucher à l’extrême-gauche. Comme je l’ai écrit plus haut à un autre internaute, j’ai voulu démontrer en quoi son propos est si incohérent – du fait sûrement de sa haine aveugle des trotskistes – que ce qu’il reproche à l’extrême-gauche se retrouve paradoxalement dans son propre discours. Connaissant sa haine de l’extrême-gauche, j’ai alors pris un malin plaisir à affirmer qu’il est en fait profondément du bord de ceux qu’il hait tant.

  5. makkabe dit :

    Excellent site ! Je pensais que vous n’étiez que sur Facebook, bonne idée d’avoir créé un site.
    Vous allez avoir du boulot, Slate, Libé, Le Nouvel Obs’ et Marianne tirent à boulets rouges sur Mélenchon depuis qu’ils ont perdu leur champion DSK.
    Le très médiocre Le Boucher, qui officiait au Monde avant d’être recruté par Colombani (ex directeur du Monde) a une sainte horreur de tout ce qui se réclame de la gauche, la vraie, s’entend, et loue à chacun de ses éditos le libéralisme en maudissant cette partie des français qui n’embrassent pas goulument la mondialisation. Heureusement pour nous, comme le rappelait un excellent article d’Acrimed, Slate ne décolle pas et personne ou presque ne le lit : http://www.acrimed.org/article3464.html
    La palme de l’injure revient tout de même à l’article de Szafran que vous avez fort justement analysé.
    Vous remarquerez -comme par hasard- que Slate a une politique de modération des messages très personnelle, que Marianne les a carrément supprimé, et que Le Nouvel Obs les a conditionnés à l’inscription à Facebook ou Twitter, de sorte de dissuader massivement les lecteurs de répondre, le tout à un an des présidentielles.
    Je mets votre adresse dans mes favoris et viendrai vous lire souvent.

  6. Echoes dit :

    Non content d’accumuler les couvertures racoleuses, Marianne est de plus en plus décevant.
    Du travail pour vous cette semaine avec un « dossier » sur les « névrosés qui veulent nous gouverner ». Mélenchon est particulièrement gâté… C’est honteux.
    D’autre part, on a connu Jacques Julliard plus honnête et plus perspicace. Je cite : « Entre une extrême gauche aux limites de la débilité politique et une gauche de droite….  » Franchement, c’est un argument ça ???

  7. Berthy dit :

    Vous sentez pas comme un air de délire de persécution?Pauvre Front de gauche,pauvre Mélenchon,pauvre de nous!Laissez tomber les mouchoirs,ne vous en déplaise mais vous êtes tout autant critiquable que n’importe lequel d’entre nous,ainsi que de toute organisation politique.
    Evidemment,quand on est persuadé de prêcher la vérité absolue,c’est plus difficile!

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